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Le voyage de Camille

lundi 9 septembre 2013, par Sébastien Rongier




Le voyage de Camille, c’est une catabase. Ce voyage dans la mémoire, dans le passé, ce fantasme de jeunesse retrouvée, revécu le temps d’une nuit d’ivresse et de désastre amoureux est un voyage au pays des morts.
Bien sûr, la jeunesse de Camille est passée. Elle est coincée dans son corps quarantenaire. Camille re-cherche son amour, peut-être un peu de cette jeunesse qu’avec le temps on a fini par magnifier.

Mais le film raconte d’abord autre chose. Camille voyage chez les morts. Elle se retrouve comme Ulysse, Orphée et Dante devant les corps disparus. Ils sont là, vivants, peut-être, mais d’ores et déjà disparus. Camille sait. Elle sait très exactement la mort de sa mère, sa disparition brutale. Elle est annoncée. Elle est certaine, inévitable. Camille s’invente alors frénétiquement des traces. Elle capte les voix, les enregistre. Elle invente littéralement une mémoire puisque inventer c’est créer et trouver. Des pépites d’intimité dans le temps qui manque. Il faudra pourtant leur faire traverser le temps.

Sa mère va mourir. Elle sait exactement quand. Celle qui de nouveau vivre la mort de sa mère ne l’avait pas supporté. La brutalité de cette femme qui tombe dans sa cuisine pour ne pas s’en relever, Camille doit y faire face de nouveau. C’est sans doute là le véritablement redoublement du film, bien plus de l’histoire d’amour. Lorsque Camille regarde sa mère, c’est comme si c’était la première fois. Mais c’est la première fois de l’après. La mort est à l’œuvre. Camille est face à la morte qui s’ignore, qui ne se sait pas. Camille sait qu’elle regarde, touche, embrasse une morte. Quand elle lui parle, elle s’adresse déjà à la morte.

Le moment de la mort arrive. Inévitablement. Elle y est, elle le sait. Elle ne veut pas la quitter. Elle veut être là, l’accompagner en quelque sorte. Seulement le moment du mourir échappe. Camille ne le veut pas, résiste. Elle a tout fait pour éviter ce qui ne l’est pas. Elle veut encore échapper au deuil. Pourtant la mort arrive. La mère va s’écrouler. Elle le sait. Elle tourne autour de sa mère. Comme une danse. Comme pour contrarier la mort. Lui faire peur. Il y a quelque chose de très animal dans le comportement de Camille à ce moment-là dans la cuisine familiale qui va revivre le drame.

Sa mère lui demande de la laisser tranquille. Camille doit l’accepter. Elle doit quitter la cuisine. S’absenter pour laisser l’absence advenir. Camille s’éloigner. Camille quitte la cuisine. Elle est dans la pièce qui jouxte la cuisine. A l’affut. Elle sait. Elle tourne le dos. Son visage de face tourne le dos à la cuisine. Elle apprend le deuil d’une mère qui va de nouveau mourir. La mort est alors hors champ. La coupure est celle d’une entrée vide (le pan de mur bleu à gauche) et d’une surface beige, triste et délavé : le monde de Camille. Comme le spectateur, Camille ne saurait voir la mort de sa mère. L’écroulement est hors champ, une matière sonore qui accomplit l’invisible à l’œuvre depuis les retrouvailles.

Au-delà de la fiction, Camille invente un chemin de deuil que Noémie Lvosky met en scène part un absentement du visible. Elle invente un espace vide qui actualise une absence, rappelant ce qui a été et signifiant ce qui ne sera plus. Ce plan, c’est celui de la perte renouvelée en même temps que le deuil. C’est rare d’incarner le deuil.





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