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Une pensée de l’image au détour du photographique (Kubrick, Marker et Tarkovski)

vendredi 3 décembre 2021, par Sébastien Rongier

A l’invitation de Michelle Debat qui coordonnait ce numéro de Ligeia, un texte qui faisait un premier petit pas dans la relation entre cinéma et photographie. Voici le texte tel qu’il a paru, sans ajout ni modification.





Le cinéma de Kubrick
(et autres Marker et Tarkovski)

Une pensée de l’image
au détour du photographique






« C’est l’histoire d’un homme marqué

par une image d’enfance »

Chris Marker La Jetée




Au hasard du cinéma, entre les images projetées qui défilent sur l’écran, le regard croise des images qui désidentifient un flux cinématographique et convoque une autre image. C’est donc l’histoire d’une autre image qui pense son espace et l’offre au regard. Il s’agit bien d’un dialogue, jamais réellement interrompu, que la photographie propose et compose avec le cinéma.

Il ne sera pas question ici de ces photographies clairement illustratives qui accompagnent la sortie d’un film (photographie de tournage, de plateau, mise en scène photographiques pour magazines, photographies de comédiens ou affiches diverses). Mais leur seule évocation souligne d’ores et déjà l’importance de ces images photographiques. Il sera précisément question de l’apparition d’une forme photographique dans le dispositif cinématographique et de l’instauration d’un trouble qui ouvre à la pensée. La photographie est un motif cinématographique dont les entrées sont multiples. On peut voir sur les écrans des photographies ou y croiser des photographes. Mais c’est plus particulièrement la photographie comme image distincte et pourtant inscrite dans la forme cinématographique qui nous occupera.


Il faut d’abord entendre ce moment photographique comme inscription dans le cadre et comme identification à ce cadre. L’image photographique inscrit sa différence dans ce moment d’arrêt qu’elle instaure et ce trouble qu’elle répand. Car ce temps photographique, s’il interrompt la (pseudo) évidence d’un flux, il ne le rompt pas mais pose, ou plutôt rend visible, l’interrogation du cinéma sur sa propre forme.

Ce travail cinématographique de l’image photographique induit une réciprocité qui rend provisoirement indisponible toute définition stricte de l’image. Peut-on réduire le cinéma à un mouvement projectif de 24 images par seconde, c’est-à-dire une image invisible sinon dans la trace de son défilement, et circonscrire la photographie à la visibilité unique d’un espace fixé ? Sans doute pas puisque l’instance photographique dans le cinéma permet dans ce dialogue de retracer une expérience contemporaine de l’image. C’est ce caractère d’instabilité de l’image, cette difficulté à fixer une typologie qu’il faut réfléchir. Nous envisagerons plutôt avec le cinéma de Kubrick d’explorer cette ambivalence de l’image. Ainsi, de Kubrick à Tarkovski en passant par Marker, nous tâcherons de souligner les enjeux esthétiques de la forme photographique en éclairant les instances de ce moment photographique sous trois angles : la citation de photographie, l’arrêt sur image et le photogramme. Notre objectif est de montrer comment un enjeu esthétique (une pensée de l’image au détour du photographique) est neutralisé dans un remake (Solaris  : de Tarkovski à Soderbergh). Mais il nous semble essentiel de déplier d’abord ces enjeux pour éclairer les orbes d’une nouvelle faillite cinématographique.



Kubrick, un cinéma, des images

Le cinéma de Kubrick interroge les formes de représentations dans les structures sociales ou mentales. Cette brève incursion dans l’ensemble de son œuvre permettra de comprendre la place particulière de l’image photographique dans son cinéma et symétriquement de comprendre que ces enjeux s’inscrivent dans une démarche générale puissante et profonde.

La figure du cercle est un des fils théoriques qui permet une entrée kubrickienne à l’intérieur du corps social et du cerveau humain. Le rond, le cercle, dans sa forme labyrinthique ou non, révèlent indiscutablement chez lui un état schizophrénique, une forme dominée par la déraison. The Shining (Shining 1980) est la plus évidente. Mais les courses dans les couloirs ou la poursuite dans le labyrinthe peuvent renvoyer au lacis des tranchées filmé dans Path of glory (Les sentiers de la gloire, 1958). Ils évoquent la même monstruosité : l’une est domestique, l’autre étatique et militaire. Si The Killing (L’Ultime razzia, 1956) est construit autour de la figure circulaire de la piste hippique, le bureau de crise de la présidence américaine de Dr. Stangelove (Docteur Folamour, 1963) est envisagé par la même figure géométrique. La circularité straussienne des vaisseaux de 2001 : A Space odyssey (2001, l’odyssée de l’espace, 1968) induit obliquement la folie destructrice de HAL (figuré par un hallo rouge). Enfin, les globes des yeux d’Alex, personnage de A Clockwork orange (Orange mécanique, 1971) illustrent physiquement la violence mimétique de l’état sur l’individu. Ces ‘yeux grands ouverts’ forment l’espace visuel de l’administration de la violence. Il y a enfin la non-réalisation de tout fantasme pour Bill Harford dans Eyes Wide Shut (1999), médiocre mari dont l’univers étriqué s’effondre le soir où il découvre que sa femme est traversée de fantasmes assumés. Son errance filmée comme une anti-odyssée induit dans le retour la forme d’une boucle soulignant un échec piteux [1]. La séquence d’une partouze mise en scène dans son grotesque baroquisme renvoie le poltron en dehors de la sphère des tentations. Cet espace est figuré par un cercle, celui des initiés qui le démasquent en l’humiliant.

La photographie vient apporter une part supplémentaire de trouble et d’interrogation dans cet univers cinématographique maîtrisé. Si Kubrick débuta sa carrière comme photographe pour le magazine new-yorkais Look, ce n’est pas dans l’anecdote biographique mais bien dans son cinéma qu’il faut penser les différents aspects de ce rapport à la photographie tout en préservant ses enjeux esthétiques et ses ambiguïtés.

La part photographique chez Kubrick interroge les recoins du cinéma en substituant l’objet à son idée. L’image photographique en tant qu’objet visuel se transforme en idée d’image. Car pour Kubrick aucune image n’est l’illustration instrumentalisée d’une signification mais produit en elle-même un sens qui renverse la stabilité du regard. Lorsqu’un plan cinématographique devient chez Kubrick un moment photographique, lorsqu’il instaure un moment d’arrêt, il fait vaciller l’ordre du regard et engage une discussion. Ce dialogue qui s’installe dans l’image grâce à cette part photographique est un moment de pensée. La profondeur de Kubrick tient dans cette conscience des enjeux qui se perçoit dans la variété des éclairages de cette problématique dans son œuvre. Il ne s’est pas contenté d’envisager une forme photographique mais explore justement la diversité de ce paradigme photographique dans le cinéma. Il n’y a pas une image qui conduit à l’arrêt photographique dans le cinéma mais une variété qui induit la richesse de ce qu’il y a à penser. C’est pourquoi nous aurons à questionner l’irruption des objets ‘photographies’ dans Killer’s kiss (Le baiser du tueur, 1955) ou The Shinning. Nous parlerons ensuite du cinéma qui fige son moment, qui arrête son déroulement à la fin de Barry Lyndon. Cet arrêt sur image interroge ce moment photographique du cinématographe en compliquant les lignes du dialogue, en glissant vers une vibration du plan. Enfin, il faut envisager les photogrammes finaux de 2001 comme les points les plus saisissants de cette pensée du moment photographique.

L’irruption de ces moments photographiques n’induit pas un arrêt mais produit une question. Le moment photographique vient modifier la structure énonciative et renverser la machine projective. Cette irruption de l’image fixe (ou fixée) engage une rupture et forme une nouvelle condition du regard. En questionnant le regard, l’entrée dans cet espace photographique fait quitter la stricte projection cinématographique tout en maintenant la tension consolidée par le montage puisque, comme le rappelle Jean Mitry « [le] montage consiste à raccorder deux ou plusieurs plans de telle sorte que leur mise en relation détermine un sens qui n’appartient à aucun de ces plans puis séparément » [2]. C’est pourquoi la notion de montage contrecarrant l’idée de flux cinématographique, permet d’ouvrir une conversation dialectique avec le moment arrêté. Cet espace d’arrêt n’explicite pas une dichotomie entre l’arrêt et le mouvement (le photographique et le photogrammatique) mais inscrit ce mouvement dans l’arrêt comme forme de débordement. En ce sens, l’image qui nous occupe n’est pas dans une fascination qui, marquant l’arrêt, achèverait le sens et la temporalité dans ce regard catastrophique que Régis Durand définit comme le « Regard même, celui qui fige et mortifie » [3]. En reprenant son idée de « claudication temporelle qui est le propre du photographique » [4], nous penserons l’image photographique (ou le caractère photographique de l’arrêt) comme la perspective oblique de la temporalité cinématographique. Tordant la dichotomie pour envisager l’enjeu disruptif du moment photographique au cinéma, et réengageant la coupure comme instance d’altérité, de questionnement et de sens, on retrouve cette forme de passage définie ainsi par Raymond Bellour :


Le seul privilège du photographique est de constituer une irruption matérielle du temps qui en marque et en condense beaucoup d’autres, témoignant par là des passages entre deux modalité de l’image à l’intérieur d’un art. [5]


Ce débordement photographique dans le cinéma est cette prise de conscience par le regard d’une absence de continuité, c’est-à-dire ce moment négatif qui, refusant l’idéologie catégorielle de l’analogie, révèle dans ce passage une différence. Ce qui s’articule dans la relation du photographique au cinématographique, c’est le caractère d’effrangement de l’art qui se constitue dans ce travail de la différence. Entendu par Adorno comme mouvement de l’art interrogeant sa capacité de différence dans son dialogue avec les autres arts, l’effrangement est un refus de la notion de genre et d’unité des arts. Il explore une expérience de l’art contre sa normalisation en déjouant les mécanismes de neutralisation des logiques des genres et des frontières [6].

La définition possible de l’image cinématographique passe par ce dialogue qui traverse les limites pour ouvrir à la pensée. L’image photographique excède le flux cinématographique en le dissolvant dans ce moment d’arrêt qui, loin de signer la fin du cinéma, l’ouvre à la présentation de lui-même dans l’exercice d’une différence. Jean Lauxerois définissant le plan de l’imaginal contre l’analogie comme un « appel du commencement » [7] de l’œuvre d’art elle-même mais aussi d’une autre possible, nous permet de relire pour l’œuvre de Kubrick cette proposition de Jean-Luc Nancy :


L’image doit être
imaginée  : c’est-à-dire qu’elle doit extraire de son absence l’unité de force que la chose posée là ne présente pas. L’imagination n’est pas la faculté de représenter quelque chose en son absence : c’est la force de tirer de la forme de la prés-ence, c’est-à-dire la force de « se présenter ». La ressource qu’il y faut doit être elle-même excessive. [8]


La mise en jeu de l’image dans son rapport photographique n’est pas chez Kubrick la réduction à une capacité illustrative. L’apparition photographique comme instance de suspension du défilement déborde même cette fonction pour former un espace de non-reconnaissance et un nouveau cadre, celui du débordement. C’est ce commencement de l’imaginal qui contrarie l’immédiateté fixée dans le flux.



Photographies

La première occurrence, la plus commune, est la citation de photographie. Le cinéma cite voracement les autres images, leur surface-écran. Cela induit très largement une mise en abyme de son cadre par une fragmentation du regard : images photographiques, tableaux, affiches mais aussi écrans de toutes sortes (cinéma, télévision, écrans de contrôles, écrans de caméras de surveillance…). Ce phénomène de co-présence qui aujourd’hui sature l’image, engage une réflexion amorcée depuis Fritz Lang jusqu’à Brian de Palma.

Dans Killer’s kiss, la voisine du boxeur fatigué, interprétée par Irène Kane, raconte à ce dernier son enfance douloureuse de petite fille riche désespérée de sentir son père préférer sa grande sœur danseuse classique. Cette évocation, faite à partir des photos familiales dans son appartement, active les souvenirs. Le récit s’inscrit à l’image à partir de la photographie. Cette dernière se dilate. Selon un indice cinématographique classique, nous passons d’une strate temporelle à une autre par une image floutée. La photographie convoque le souvenir. Seulement ici Kubrick élabore une autre forme. Le souvenir est pris en charge par la voix off alors que l’image reste concentrée sur la danseuse. L’image née de son rapport photographique ne se constitue pas en récit mais conserve cette part symbolique et abstraite, entre fixation et obsession. On voit la femme dansant sur le plateau cernée d’ombre d’un théâtre tandis que la voix off fait ce récit accablant. L’image photographique citée n’est pas pensée comme tremplin instrumental pour une séquence de souvenir dans un traitement cinématographique. L’image cinématographique n’assimile pas la citation photographique mais élabore une forme propre à partir d’elle. L’effet qu’elle produit n’est pas un arrêt mais une spécification filmique qui questionne déjà l’enjeu du souvenir et la place de ces images parasites, mise en abyme de cadre que Kubrick convoquait déjà dans la retransmission télévisée du combat de boxe. Cette abstraction de l’image à partir du motif photographique formalise l’idée du souvenir, en le rapprochant du monologue intérieur. De même, la voix off n’apparaît pas dans sa fonction illustrative. L’écart entre le vu et le dit souligne à la fois la fixation du souvenir et son caractère abstractif.

Plus inquiétante est la photographie qui achève The Shining. Elle montre une fête à l’hôtel Overlock, littéralement ‘regarder par-delà’. Ce nom semble symboliser l’ambition kubrickienne et rejoindre cette préoccupation photographique. Cette image est un cliché pris le 4 juillet 1921 lors du bal fêtant l’indépendance américaine [9]. Elle montre, après un long travelling, au premier plan un homme ressemblant trait pour trait à Jack Torrance, l’écrivain raté interprété par Jack Nicholson. Film composé sur la propagation des terreurs intimes et la contamination de cette folie dans les consciences (et leurs effets d’hallucination), l’image finale noue l’ensemble du film et poursuit l’interrogation sans jamais l’achever. Ce cliché photographique rappelle un autre plan du film, celui de Jack, gelé au milieu du labyrinthe, nous permettant de retrouver cette figure circulaire. C’est cette circulation et cet écho d’une image gelée qui, paradoxalement, n’arrête pas le film mais noue l’énigme temporelle [10] et l’interrogation psychique. L’image kubrickienne n’est jamais illustrative mais travaille toujours un sens à interroger. Le dernier cliché pris dans le mouvement cinématographique (le travelling avant) déborde le simple effet de projection car il ouvre à rebours cet imaginal comme forme de résistance.


L’image chez Kubrick « se prête » au commentaire, elle ne se refuse pas, mais elle ne se donne pas non plus. Elle est le lieu d’une résistance passive des plus singulières. Et ne croyons pas que cette puissance passive de l’image soit facile à obtenir. [11]



Arrêt sur image

Si Kubrick alimente la question du cadre et du tableau dans la mise en scène de Barry Lyndon, c’est un arrêt sur image qui va plus spécifiquement nous préoccuper. On retrouve un dispositif de voix off qui commente une action. L’arrêt sur image, l’interruption violente de l’action pour le personnage de Barry Lyndon ne sert pas à évoquer un fait passé mais vient souligner la méconnaissance du narrateur. Ne sachant plus ce qu’à été la vie plus pitoyable encore de Barry Lyndon, l’instance cinématographique se fige pour mieux s’interroger. C’est au moment où l’on voit le personnage interprété par Ryan O’Neal de dos, la jambe amputée, entrer dans une calèche le menant vers une déchéance plus grande encore que l’image se fige.



Complètement frustré et meurtri, que pouvait-il faire esseulé, le cœur brisé ? Il accepta la rente et rentra en Irlande avec sa mère pour se rétablir.


[ Durant cette intervention du narrateur, l’image montre en travelling latéral, Barry (la jambe coupée) et sa mère sortir d’une auberge et se diriger vers la calèche.

Après un bref silence, on observe un changement de plan par un changement d’axe de prise de vue. On le voit désormais de dos, montant bientôt dans la voiture. Le narrateur reprend.]


Un peu plus tard, il se rendit à l’étranger. Nous ne sommes pas en mesure de raconter la vie qu’il y mena. Il semble qu’il ait repris sa carrière de joueur, sans le succès d’autrefois.

Il ne revit jamais Lady Lyndon.

[L’image se fige sur Barry handicapé montant dans la voiture, aidé par un homme.

La dernière assertion du narrateur fait le lien avec l’ultime séquence du film dans laquelle on voit Lady Lyndon signer le billet de rente. Si Barry ne la revoit pas, on constate que le spectateur n’est pas Barry.] [12]


Ce point d’arrêt visuel est un point de conscience (son acmé). S’il n’arrête ni le film, ni l’histoire, il marque la conscience d’un dispositif et d’une narration. Nous pouvons même dire que cet arrêt sur l’image met en scène cette conscience. Lorsque Serge Daney évoque l’arrêt sur image, il l’envisage non comme un manque de mouvement mais comme un manque de sens, un manque de but de ce mouvement.


L’arrêt sur l’image (retour à l’inanimé=pulsion de mort) dit qu’il y a des images au-delà desquelles le mouvement ne continue pas. Elles peuvent être l’un des 24 moments quelconques d’une seconde de film enregistré. Mais à un moment, elles ne sont plus quelconques du tout : elles sont – par essence – des ‘terminaux’. [13]


Si l’on peut envisager cet arrêt comme l’instant de mort qui rend improbable tout autre mouvement du personnage de Barry Lyndon, cette image ne semble pas définir une image terminale au sens où Daney l’envisage comme une image pétrifiée désarticulée du reste du film. Non seulement cette image trouve sa résonance dans le plan montrant le billet de rente signé par Lady Lyndon, daté ‘1789’, mais surtout cet aspect est la marque constante chez Kubrick d’un questionnement sur l’image et sur sa force interrogatrice [14]. L’arrêt sur image marque la fin du temps du personnage mais pas celle de l’histoire, ni celle de l’Histoire. Il pose au contraire sur elle une interrogation. 1789 vient frapper le regard et l’esprit de ce sens à donner, de cette aventure médiocre d’un personnage englouti par cette préfiguration des bouleversements et des luttes à venir. L’arrêt sur image vient donc, dans son incapacité narrative, éclairer d’une bougie désabusée les événements à venir. Elle ne saurait en ce sens être terminale. C’est arrêt sur image n’est pas un effet visuel mais une tension du visible. L’image devient ce tour de force qui interroge son propre débordement de sens et tend à saisir sa mise en absence.


L’image est la force-signe prodigieuse d’une présence improbable surgie du sein d’une agitation inconstructible. [15]




Agitation photogrammatique


Mais c’est avec 2001 que cette interrogation sur le moment photographique prend toute son épaisseur. Il faudra ici faire appel à Philippe Dubois, interroger avec lui Marker pour retrouver Kubrick et sans doute croiser sur notre chemin celui de Tarkovski.

C’est l’histoire d’un homme marqué par une image. C’est histoire d’une image. Une image. En réalité, deux. Deux images, deux photographies ou plutôt deux photogrammes précis dans la toute dernière partie de 2001. On voit le visage de l’astronaute Bowman, interprété par Keir Dullea comme figé dans son casque, casque sur lequel se reflètent les lumières et les espaces qu’il traverse. Deux moments fixés ? Deux espaces photographiques trouant le mouvement général et chaotique du voyage. Ce déplacement spatial renvoie à l’idée d’un temps intervallaire, flottant et instable. Ce moment photogrammatique devient substance d’une conscience et instance paradoxale du temps et de l’espace. Nous ne sommes pas dans un mouvement immobile induisant une forme d’intemporalité mais dans une immobilisation infixée d’un mouvement qui pose le problème de sa représentation. Cette instance photogrammatique constitue une torsion qui permet de percevoir les enjeux esthétiques de Kubrick car elle représente moins qu’elle ne présente une contradiction, une inconciliation. Nous pouvons envisager au travers de ces formes d’effrangement des arts, la notion adornienne de « tour de force » qui permet de saisir la tension inscrite dans l’œuvre. Entendue par Adorno comme renversement de la simplicité et de la clarté de l’œuvre, le tour de force est « la réalisation d’un irréalisable » c’est-à-dire ce paradoxe esthétique « qui consiste à rendre possible l’impossible » [16]. L’instant photogrammatique combine les contraires, œuvre sur son fondement contradictoire. Elle est manifestation de l’art en renversant les formes apprises, en s’opposant aux structures de normalisation et en retrouvant sa substance d’inconciliation. Le photogramme, entendu comme immobilisation infixée d’un mouvement, atteste du passage du photographique dans le cinéma. Ce rapport de surface qui dé-référentialise les deux instances propose dans ce retournement, dans cette torsion de la frontière une pensée de l’art (et de l’image) à partir de son matériau. Apprenant dans ce mouvement d’arrêt et dans son impossible fixation à justement percevoir l’enjeu cinématographique dans son ambiguïté, l’image est cette visibilité de l’absence, ce débordement qui ouvre une question plutôt qu’elle ne donne une réponse. En ce sens, le photogramme de 2001 est commencement. Il est plus exactement un moment de conscience dans le matériau de cette forme de pensée qui s’appelle le cinéma.


Le recours pour Kubrick à une dissymétrie temporaire et intense vise à forcer le verrou que représente la symétrie face à toute évolution. L’artiste Kubrick n’opère pas autrement, cherchant à surprendre l’ordre établi des genres et des styles, leur équilibre interne, sans aller jusqu’à leur dislocation totale car il connaît trop bien l’inévitabilité du retour à l’ordre. [17]

Au travers de cette force paradoxale, on devine que ces deux plans de 2001sont redevables de La Jetée de Chris Marker. Conçu en 1962, ce film de 28 minutes travaille le paradoxe de l’instant-image au travers d’un dispositif photographique. Philippe Dubois en précise la complexité en soulignant son caractère profondément mélangé. A la fois photographie refilmée au banc-titre et arrêt sur image à partir d’un matériau filmique, La Jetée est donc à la fois photographie et photogramme. Chris Marker, jouant sur les deux supports, crée un effet de brouillage. C’est ce qui fait dire à Dubois qu’il refuse l’opposition et fait « émerger un concept hybride, indiscernable, qui n’est ni de l’ordre de la photographie, ni même de l’ordre du photogramme, mais plutôt de ce que j’appellerai le « cinématogramme ». » [18]. C’est cette entre-image bellourienne qui signe un passage traversant l’image et le réel et posant l’enjeu de la mémoire et de la conscience dans celle du temps. Cette figure classique de la science-fiction dont s’est inspiré Marker trouve avec La Jetée, 2001 et Solaris (1972) de Tarkovski des implications esthétiques propres au cinéma. La conscience intervallaire et malléable mise en scène dans ces films est celle du temps, non pas le temps du flux chronologique de l’Histoire mais celui de la conscience, sa fluidité mouvante, telle que Bergson la définit. Aussi le mouvement cinématographique s’opacifie-t-il dans cette instance cinématogrammatique qui ne se réduit pas à une continuité mais à une dialectique de la durée (qui est celle du montage).


Du coup, la vie (le passé vécu comme un présent à partir du futur) ne peut apparaître que comme une bande de temps où tous les instants sont là, les uns à côté des autres, comme des photogrammes, toujours au présent mis à plat devant soi, saisis comme des images toujours « en vie » mais une vie non linéaire, une sorte de vie verticale, ou tabulaire, faite de la juxtaposition perpétuelle de moments de temps et que l’on peut convoquer, assigner, à chaque instant, dans n’importe quel ordre. [19]


L’image n’est pas terrassée par le réel mais travaillée par l’incertitude qu’elle forme. Les deux images cinématogrammatiques de 2001 constituent ce moment de renversement. En interrogeant la forme cinématographique, en soulignant le matériau filmique tout en révélant ses propres ambiguïtés, ces deux images offrent une perspective oblique qui renverse et dépasse une pensée classique pour ouvrir à la dimension non-euclidienne d’un espace-temps qui anticipe les nappes de temps de la séquence finale (l’astronaute se voyant, l’astronaute vieillissant, puis vieillard et mourant, enfin enfant). L’espace cinématogrammatique de ces deux images du visage de l’astronaute est cette anticipation dialectique du rapport entre le temps, l’espace et l’image.


Si l’intervalle temporel que représente le passage de la vie à la mort, ici le temps intérieur de la chute d’un corps, précisément figé par l’arrêt photographique mais décomposé dans la durée d’une série en variation, si ce temps intensif s’avère un « présent qui dure », c’est-à-dire un temps où le clivage entre passé et présent disparaît au profit d’un défilement intérieur qui actualise la totalité de la vie dans l’instant de la mort, alors ce moment, à la fois infime et infini, est bien une pure substance de temps. Mais, ici, une substance de temps faite film. [20]


Lorsque Chris Marker commente dans Une journée d’Andreï Arsenevitch (2000) le dernier plan de Solaris de son ami Tarkovski, il se demande qui regarde puisque l’Océan, au milieu duquel se retrouve Kelvin interprété par Donatas Banionis, est secrètement l’idée de Dieu. Qui regarde Dieu ? Cette même question semble s’appliquer à ces deux images de 2001, l’idée de Dieu étant également au cœur de ce film [21]. C’est pourquoi le travail de Kubrick cherche avant tout à briser l’harmonie, à la retourner pour réinventer la perception [22]. Ces moments cinématogrammatiques en sont une expression profonde puisqu’ils soulignent ce moment de pensée où le regard se perd dans une dimension qui abolit les frontières du temps et de l’espace pour constituer celle d’une durée de la conscience.


« Quand l’astronaute qui a survécu, Bowman, finit par atteindre Jupiter, l’artefact [le monolithe noir] l’entraîne dans un champ de forces, à travers des espaces intérieurs et extérieurs, et le transporte finalement dans une autre partie de la galaxie. Là, il est placé dans un zoo humain, en quelque sorte un hôpital, un environnement terrien tiré de ses propres rêves et de son imagination. Le temps n’existe pas : sa vie passe de l’âge mûr à la vieillesse et la mort. (…) La rencontre avec une intelligence extraterrestre avancée serait incompréhensible si on la situait dans notre système de références terrestre et contemporain. Dès lors, les réactions à cette situation comportent des éléments de philosophie et de métaphysique qui n’ont rien à voir avec le simple schéma de l’intrigue. (…) Dès le début de la préparation du film, nous avons tous discuté des moyens visuels pour représenter une créature extraterrestre de manière aussi ahurissante pour l’esprit que la créature doit l’être elle-même. Il est très vite devenu évident que l’inimaginable ne pouvait être représenté. » [23]


Si 2001 trouve avec La Jetée et Solaris une parenté esthétique, c’est que leurs auteurs en explorant des nouvelles formes, mettent en cause leur matériau pour le réinventer constamment. L’inimaginable qui ne peut être représenté trouve avec le plan imaginal de l’image cinématogrammatique la possibilité d’une présentation qui œuvre dans son commencement.




Contrepoints contemporains


Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, les effets spéciaux et les innovations technologiques ne contribuent généralement pas à interroger l’image contemporaine ou à proposer au public de nouveaux espaces de pensée du cinéma. Tendus vers l’artifice du visuel, ces formes se détournent de toute interrogation de leur matériau pour produire une certaine vacuité. La photographie est par exemple instrumentalisée par cet impératif visuel. Loin d’être dans une innovation conceptuelle clamée, les effets spéciaux reproduisent une substitution dialectique bien classique du ralenti pour la vitesse, de la photographie pour l’ultramobilité. Il n’est qu’à voir le début de Matrix des frères Wachowski (1999) qui reprend ces ingrédients (course sur les toits). C’est surtout l’effet des personnages figés en pleine action ou le Bullet Time qui attire l’attention et fixe le regard. Inventé par Pierre Buffin, perfectionné par John Gaeta, ce procédé repose sur la photographie (la stéréophotogrammétrie selon la terminologie technique de Buffin). Il s’agit non pas de filmer une action mais de la photographier (120 appareils photographiant à 1000 images par seconde, déclenchés en un tiers de seconde). L’ensemble des clichés est ensuite mis bout à bout, relié entre eux par un ordinateur et retravaillés pour être finalement incrustés dans un décor virtuel. Cette révolution de l’image trouve son ancrage dans la photographie. Et l’on retrouve dans ce parcours hautement technologique la vieille recette cinématographique de la vitesse réalisée par son ralenti. Seulement ici le flux apparent est conçu comme tel, en dehors de toute idée de débordement puisque l’image n’est pas envisagée dans son instant photographique mais uniquement dans sa visualité illustrative.

Le genre de la science-fiction connaît aujourd’hui un succès considérable. Mais ces films semblent reposer sur une totale absence de réflexion sur leurs enjeux. Deux films contemporains auraient pu rendre compte de cette interrogation contemporaine du moment photographique. Mais ils ratent cette ambition esthétique. Il s’agit de Solaris (2002) de Steven Soderbergh et de Minority Report (2002) de Steven Spielberg. Ces deux films sont intimement liés à notre réflexion sur Tarkovski et sur Kubrick.

Le film de Soderbergh rate son enjeu fondamental car il ne s’interroge pas sur son statut, celui du remake. Les questions de la reproduction, de la projection fantasmatique et de l’image auraient pu être au cœur du matériau filmique de Soderbergh comme elle est un enjeu du livre de Stanislas Lem. En effet, Soderbergh s’est défendu de faire un remake, parlant plus volontiers d’une nouvelle adaptation de l’auteur polonais de science-fiction [24]. Cette posture est généralement malhonnête et Solaris ne fait pas contre-exemple : non seulement Soderbergh recopie très consciencieusement de nombreux éléments de Tarkovski mais surtout il détourne l’œuvre de Lem en ne tenant pas compte de sa construction et de ses problématiques. En se concentrant sur la question du couple et du deuil, Soderbergh évacue les enjeux scientifiques et métaphysiques qui occupent une place centrale chez Lem et Tarkovski. Une question fondamentale que pose Tarkovski en adaptant Stanislas Lem est scientifique. Ce qu’ils explorent dans les méandres du souvenir amoureux, c’est le statut de l’expérience scientifique et de ses systèmes de procédures et de validations. Les enjeux sont ceux de cette science futuriste, la ‘solaristique’, de ses hypothèses, de leurs analyses dans des expériences ou dans leurs formulations théorique pour tenter de comprendre cette étrange planète, Solaris, aux incroyables variations de gravitation.

Enumérant au début du roman les différents points de vue et les batailles théoriques au sein de la communauté scientifique, le narrateur résume ainsi le foisonnement :


Je reposais le gros livre sur le rayon et je pris le volume suivant. Il se divisait en deux parties. La première était consacrée au résumé des tentatives innombrables, qui toutes avaient pour but d’établir un contact avec l’océan. A l’époque de mes études, je m’en souvenais parfaitement, cet établissement de contact était l’objet d’anecdotes, de plaisanteries et de railleries sans fin ; comparée au foisonnement de spéculations suscitées par ce problème, la scolastique médiévale semblait un modèle d’évidences lumineuses. La deuxième partie, près de mille trois cent pages, comprenait uniquement la bibliographie relative au sujet. Les textes n’auraient pu trouver place dans la chambre où je me tenais. [25]


Le livre poursuit ces interrogations dans les conversations entre le Dr Kelvin, fraîchement arrivé sur la station en orbite autour de Solaris et les autres scientifiques y vivant, le physicien Sartorius et le cybernéticien Snaut. Ces mêmes enjeux sont posés avec l’apparition mystérieuse de sa femme Harey (sa réplique pour être exact) ; la question essentielle du récit étant : qui expérimente qui ? qui éprouve qui ?

Le film de Tarkovski reprend ces enjeux en les faisant résonner avec ses propres interrogations et ses recherches esthétiques. Si Lem amorce le roman par l’arrivée de Kelvin sur la station (lieu unique de l’action), puis par le parcours de la bibliothèque du vaisseau comme ancrage narratif à cette évocation, Tarkovski choisit une autre voie d’adaptation. Elle souligne une volonté de rester proche de l’esprit du livre de Lem mais dégage également des enjeux proprement cinématographiques ainsi que des préoccupations plus particulièrement tarkovskiennes. Le réalisateur russe choisit de découper son film entre trois espaces : le premier tiers du film se déroule dans la maison de Kelvin sur Terre, les deux autres tiers se déroulent exclusivement sur la station à l’exception des dernières images qui marquent d’une manière ambiguë le retour de Kelvin dans sa maison. Ce dispositif inscrit l’adaptation du roman de Lem dans les règles du genre (la science-fiction) mais surtout permet de déployer une méditation propre à l’écriture filmique de Tarkovski sur le monde et sur un idéal moral [26].

Comme à son habitude Tarkovski choisit l’image. Mais il n’illustre rien avec les images. Bien au contraire, ses images travaillent la sensation et la part méditative de cette présence d’invisibilité comme le rappellent Bàlint Andràs Kovàcs et Akos Szilàgyi dans leur ouvrage consacré à Tarkovski.


Pour Tarkovski, l’image représente une sensation : dans ce que l’on voit, est présent quelque chose que l’on ne voit pas directement, l’image transmet l’invisible, c’est-à-dire le rend visible. [27]


Outre la référence à Paul Klee qui reste à étudier dans l’œuvre de Tarkovski, cette citation renvoie explicite à la tradition iconique de l’orthodoxie russe qui influença le travail du réalisateur et que l’on retrouve dans la dernière image de ce film. Pour l’heure, le début de Solaris évoque le débat scientifique autour d’une exploration ainsi que les limites idéologiques à l’acceptation du récit de cette expédition faite par un pilote. Les scientifiques refuseront de valider les conclusions de son récit. Le dispositif de Tarkovski est très précis. Son film débute par de longs plans sur la nature, accompagnant la promenade de Kelvin autour de sa maison. Les images de forêt, de végétation, d’eau qu’affectionne particulièrement le cinéaste soulignent cette beauté naturelle, ancre le récit sur Terre et permet déjà au spectateur d’approcher par l’image la sensation de cette nature prolifique. Puis l’ancien pilote Burton vient montrer à Kelvin des comptes-rendus filmés des audiences et des débats autour de ces découvertes sur Solaris. L’image est là pour exprimer une véracité, une authenticité des débats malgré le temps passé (l’officier sur les images diffusées est beaucoup plus jeune que l’homme qui est chez Kelvin). Mais toute la subtilité tient dans le paradoxe qu’il y a à montrer des images qui justement interrogent la possibilité du vu et du dit. Il permet de comprendre les mécanismes idéologiques de leur rejet dans le contexte scientifique de la solaristique [28].


Lorsque l’on projette le film qu’il a tourné durant cette mission, les visions laissent place au vide. Le mystère est créé. Le vide est donné. Tout le film visera ensuite à grossir ce mystère et à le complexifier, construisant un but à la quête de Kelvin. Il lui faudra tenter de comprendre. (…) C’est d’abord le récit scientifique, à l’occasion de la confession de Burton devant la commission des spécialistes, qui introduit le genre. D’un réalisme noir et blanc à toute épreuve, il s’agit là d’une des « scènes d’exposition scientifique » les plus réussies. Tout y est dit : le mystère, la scientificité (« la solaristique »), les pesanteurs du milieu savant, l’objectif à atteindre (comprendre le fonctionnement de l’océan). [29]


Mais l’ensemble de la séquence (nature et images projetées) tend à montrer par l’image la relation organique entre les différents mondes (le monde naturel et le monde inconnu de Solaris).Vivre le repère naturel chez Tarkovski permet en retour de souligner l’étrangeté à venir. C’est l’image qui opère ce lien. Car, pour Tarkovski, l’image est ce matériau qui permet de percevoir les différents mondes, les différentes temporalités.


Pour introduire la tradition dans le film, Tarkovski crée un contexte qui incite le spectateur à la contemplation et l’amène à essayer de comprendre la signification des images, indépendamment de la situation dramaturgique., en prenant comme référence la tradition extérieure au film ou la série de motifs. Tarkovski conditionne le spectateur de façon qu’il sente la présence de tous les mondes à la vue d’une seule image. Dans ce but, il rend les images indépendantes de la structure spatiale et temporelle, et il a recours à la durée pour obliger le spectateur à les examiner attentivement. Ce maniement du temps permet d’oublier l’action, la sensation d’être présent domine. La structure de l’action montre les relations entre certains de ses éléments grâce à la présence de motifs visuels, non au niveau de l’action proprement dite. [30]


Cet enjeu permet de contrarier une fois de plus la problématique de l’immédiateté du flux non pas par le travail du montage mais grâce à ce temps méditatif de l’image tarkovskienne qui engage déjà la question photographique et garde un lien relationnel particulièrement exigeant avec le spectateur. Pour Tarkovski, le temps n’est pas dans le film mais bien dans l’image. C’est pourquoi se dégage des problématiques (eisensteinne) du montage et préfère penser chaque image en déroulant chaque plan, en les étirant en dehors de toute ponctuation événementielle. En inscrivant le mouvement dans l’arrêt, le temps dans le plan, Tarkovski travaille une combinaison qui contrarie le flux cinématographique qui s’oppose à tout arrêt. Cette dimension sert le propos de Solaris puisqu’elle organise le mystère de la planète. De plus, ce choix de l’image sur le montage permet à Tarkovski de répondre à la contrainte de l’adaptation du genre science-fiction. Solaris comme Stalker sont deux films appartenant à ce genre et dont le déroulement est chronologique. Ce sont les deux seuls cas de sa filmographie. Ceci souligne nettement que l’image suffit ici à formuler les mystères de ces mondes non-euclidiens et labyrinthiques, échappant aux lois de la physique connues que sont la Zone de Stalker ou la planète de Solaris et préparant la structure du film Le Miroir.


La question photographique occupe une place essentielle à la fin du remake. Kelvin, apparemment de retour sur terre, a enfin mis une photographie de sa femme morte sur son frigidaire. Cette apparence d’apparence exprime très exactement le contraire de ce qu’il semble induire puisque l’entrée de sa femme (sa forme de visiteur issu de l’Océan) lie le récit à la perpétuation du regret. Cette femme qui précise « nous sommes pardonnés » est en contresens total avec le récit de Lem et le film de Tarkovski [31]. Ces derniers ne concentrent pas leurs œuvres sur la seule relation amoureuse mais l’inscrivent dans une réflexion plus large. De plus la femme (sa réplique) disparaît volontairement et définitivement à la fin du livre de Lem et du film de Tarkovski. L’image photographique dans le remake de Soderbergh est instrumentalisée pour obtenir un ‘happy end’ banalement hollywoodien et curieusement chrétien. Là où la photographie aurait pu emporter le film vers une interrogation du cinématographique dans son moment photographique en engageant une question sur la reduplication ou sur une dimension épiphanique ou iconique (véronique) pour rester dans ce registre chrétien, elle n’est qu’un ressort de mise en scène dénué de toute forme de réflexion. En effet, Soderbergh ratant l’intrication du rapport amoureux aux enjeux scientifiques ne répond pas questions soulevées par Lem et Tarkovski (Qui expérimente qui ? Qui éprouve qui ?). Kelvin finit par aimer la réplique pour elle-même, pour ce/qui elle est (ou du moins s’en persuade-t-elle) alors même qu’Harey (sa réplique) éprouve de plus en plus de difficultés dans cette situation. C’est pourquoi elle décide de disparaître. Accepter la disparition d’Harey (sa réplique), c’est non seulement accepter le suicide ancien de sa femme sur Terre, mais c’est aussi résoudre une expérience scientifique : le contact avec l’océan. C’est une des clés du roman de Lem et du film de Tarkovski.


Le mystère de Solaris est la relation avec l’autre, la capacité d’aimer. Celui qui a cette capacité détient la clé du mystère, et celui qui comprend le mystère peut établir un rapport avec l’océan pensant : sa conscience se purifie et l’océan cesse son activité. [32]


En effaçant tout enjeu lié à ces aspects scientifique, Soderbergh garde uniquement une structure sentimentale qui renverse le sens du roman de Lem puisque la fin du remake implique l’échec scientifique. De plus, là où Tarkovski imposait une vision personnelle dans l’adaptation de Lem en travaillant le temps de l’image, Soderbergh signifie son incapacité esthétique à trouver une solution personnelle. Il semble chercher lui aussi un allongement des plans et une sophistication formelle. Si l’allongement est une mimétique inavouée chez Soderbergh du cinéma de Tarkovski, la sophistication formelle renvoie à un esthétisme publicitaire difficilement soutenable. Mais il se contredit dans cette tentative de reduplication tarkovskienne puisqu’il travaille le temps par le montage par d’incessants va-et-vient entre le temps de la station spatiale et le temps passé du couple. En tentant de déplier par le montage un rébus sentimental, Soderbergh passe à côté de son entreprise. S’il pille les images de Tarkovski, il ne réussit pas à en saisir les implications esthétiques. Il reste dans un conditionnement du désir imposé par le marché hollywoodien (les stars à l’affiche, la fin heureuse arrachée à la dernière image). Sa volonté d’instaurer un mouvement divergeant (une pseudo position auteuriste) exprime en réalité un mouvement de convergence. Le remake de Soderbergh croit se singulariser en proposant un (faux) écart par rapport à l’œuvre initiale et par rapport à la doxa hollywoodienne (le blockbuster à effets spéciaux spectaculaires). Mais il ne fait que reproduire une fétichisation de la valeur d’échange en neutralisant toute dimension de pensée. Solaris de Soderbergh est lui-même ce ‘visiteur’ remake (réplique) qui reproduit sans produire, qui tente d’être autre chose, condamné à ne jamais pouvoir l’être. Car il reproduit le conditionnement esthétique de l’industrie culturelle. L’éventuelle mise en abyme qui aurait pu exister dans ce remake (sa condition même d’être une réplique, toute comme le personnage d’Harey) n’est pas envisagée car il semble que la pensée des images produite ne soit pas la préoccupation première de nombreux cinéastes contemporains.

On retrouve en écho les attaques de Jean-François Lyotard qui, dans son article l’acinéma [33], pensait les aspects normalisateurs de la mise en scène comme une mise en ordre répétitive et comme une interdiction de toute forme de questionnement, de détour ou de dissonance. Cette mise en ordre normative soumet l’altérité à la ‘loi du retour’, discipline le mouvement en l’enfermant dans une unité totalisatrice. Cet aspect semble clairement réaliser les mécanismes d’évidement induits par le remake, mécanismes auxquels Soderbergh n’échappe pas. Ce remake tourne à l’évidence le dos à cette possibilité de débordement qui trouve dans les recoins du cinématographique une instance de questionnement.

Il faut une fois de plus revenir à Chris Marker pour comprendre que cette difficulté, si elle est liée à la structure idéologique, économique et esthétique du remake, peut trouver un contre exemple.

Twelve Monkeys (L’armée des douze singes, 1995) de Terry Gilliam, forme de remake de La Jetée complexifie plus encore les enjeux et les plis de cette question. Cas suffisamment rare de remake intelligent et exigent pour que nous le mentionnons ici, ce film nous intéresse à plusieurs titre. Outre son rapport étroit avec l’œuvre de Marker, Twelve Monkeys n’évacue pas l’enjeu photographique. Contre la critique virulente de Raymond Bellour [34], il faut envisager la spécificité hollywoodienne de ce film et ces qualités dans la différence qu’il a su instaurer. Ce remake chausse-trappe réengage obliquement la question de la photographie, soulignant l’univers propre du réalisateur et la conscience du matériau cinématographique qu’il travaille. La filmographie de Gilliam montre un univers très spécifique et une volonté de le déplier tout au long de ses films. L’échec du tournage de son projet Don Quichotte (et le documentaire qui en a été tiré) montre cette particularité et prouve sa difficile intégration dans le système hollywoodien.

Dans Twelve Monkeys, les images tiennent une place particulière dans le travail de la psychiatre, Kathryn Railly interprétée par Madeleine Stowe. La question de la représentation est envisagée dans ses dimensions psychanalytiques et esthétiques. Elle devient moment de vérité lorsque l’image issue des reportages de la guerre 14-18 montre bien le voyageur dans le temps qu’elle a croisé dans l’Amérique contemporaine. Le mur des images contient un temps de vérité qui déborde la fonction illustrative. L’image photographique ne justifie pas la signification mais la construit. En cela il souligne une conscience de l’œuvre de Marker. Gilliam ne s’en affranchit pas, il élabore à côté une œuvre propre pour finalement retrouver un espace de dialogue avec le réalisateur de La Jetée sans pour autant chercher à faire comme s’il avait entrepris un film indépendant. Gilliam sait qu’il fait un film hollywoodien, avec des stars hollywoodiennes et un budget conséquent. Ce qu’il réussit, c’est à imposer une vision personnelle, un espace et des préoccupations esthétiques intimes à partir d’une expérience si unique que La Jetée et dans un cadre cinématographique bien spécifique. Lorsque Raymond Bellour qu’il ne reste qu’un « film inspiré de », il devrait justement s’en réjouir parce qu’il croise un auteur qui, connaissant les chausse-trappes du remake, préfère la filiation au pillage et au détournement. Par ailleurs, Chris Marker nous rappelle lui-même que « [l]’imaginaire de Terry est assez riche pour qu’on n’ait pas besoin de jouer aux comparaisons. Ce qui est certain, c’est que pour moi Twelve Monkeys est un film magnifique (il y a des gens qui croient me faire plaisir en me disant que non, que La Jetée est beaucoup mieux, le monde est bizarre) » [35].


Le remake de Soderbergh soumis au formalisme répétitif du remake ne prend pas conscience de ces enjeux tout comme Spielberg ne réussit pas à élaborer une démarche cinématographique qui prenne à bras le corps l’héritage kubrickien qu’il revendique. Si l’on rencontre dans Minority Report (2002) de Spielberg un mur d’images, on connaît une même déception quant aux enjeux qu’il aurait pu ouvrir. Présenté comme le film de la maturité, Minority Report met en scène une société qui, en contrôlant les pensées de la population par des médiums récepteurs, anticipe les meurtres, arrête et condamne les assassins potentiels. L’enquête de ces meurtres à venir est faite par un agent de police spécialisé dans la lecture des images. C’est dans ces véritables prophéties visuelles et virtuelles que l’on voit l’inspecteur, interprété par Tom Cruise, chercher les indices nécessaires à son enquête. Retrouvant l’interrogation méthodologique de Blow up d’Antonioni ou Blade Runner de Ridley Scott (avec un retournement temporel : passage d’une enquête du passé à celle du futur), Spielberg n’envisage pas l’enjeu paradoxal de l’image comme forme anticipante du réel, le caractère (im)proprement projectif d’une image fixe, fixée par les mains du policier en virtuose du virtuel. Spielberg reste à la surface de la monstration, fasciné par la fétichisation de l’image à montrer, et par l’intégration visuel du technologique. Les enjeux esthétiques ne visent que la surface du visible réduit à la visibilité du visuel et n’offrent aucune interrogation. Ce film est au contraire ce qu’il semble dénoncer : être dans l’image pour ne pas en faire le deuil. Là où le héros semble faire un deuil (strictement inscrit dans la doxa hollywoodienne de la recomposition familiale), le film de Spielberg montre le contraire, il est pleinement dans la jouissance de l’image ; il reste dans cet état intra-utérin de l’enfant-robot de A.I. (2001), fixé sur une image.

Spielberg réalisa ce projet autour de l’intelligence artificielle que Kubrick n’a pu développer et mettre en scène. Mais il n’a pas retenu la leçon de son maître qui s’est toujours tenu à renverser les modalités de représentation et à exprimer leur profond état d’interrogation et d’incertitude. Tout comme il ne suffit pas de mettre la huitième symphonie de Schubert sur les manipulations high-tech d’images de Tom Cruise dans Minority Report pour penser l’image ou imaginer naïvement poursuivre l’héritage de Kubrick, il ne suffit pas de mettre sur celluloïd le projet kubrickien pour le réaliser. La fin de A.I. est à ce titre édifiante. Revenons quelques instants sur le récit : l’humanité a disparu. Reste l’enfant-robot plein de toutes les vertus humaines, fixé sur l’image de la mère, littéralement figé dans la mer gelée, attendant son devenir être humain au pied d’une statue de fée de parc d’attraction. Le deus ex machina est extra-terrestre. Ces derniers viennent visiter les vestiges dévastés de New York. Le robot est le dernier témoin qu’ils réactivent. Les aliens bienveillants, se substituant à l’image de la bonne fée exauceront le vœu de l’enfant-robot plus humain que nature. Il retrouve pour une seule et unique journée sa mère, son clone issu de son ADN (Cf. Jurassik park). Il vivra donc ce rêve d’humanité maternelle avec sa duplication (double duplication entre la mère éphémère et l’enfant robot ; double substitution). Il est regardé par les extra-terrestres, il n’y aura donc pas de mise en abyme du regard. Car cette ultime séquence prétend moins revisiter Solaris ou lui apporter une forme de réponse qu’elle ne cherche à intensifier l’émotion du maternel. La maternité (ou la paternité) est toujours chez Spielberg envisagée comme artificielle ou virtuelle alors qu’elle apparaît chez Kubrick dans sa dimension charnelle, pathogène et terrifiante. L’image de l’enfant gelé n’est que la pathétique inversion de celle de Nicholson à la fin de The Shinning. Plutôt que d’entretenir un dialogue avec Kubrick, cette image de Spielberg semble ravaler le cinéma kubrickien du côté d’une bienveillance dysnéisée antinomique avec son œuvre.


Le moment cinématographique de l’image photographique (ou –grammatique) envisagé comme ‘cinématogrammatique’ est un de ces espace d’interrogation ouvert sur l’horizon cinématographique. Déroutant toute fonction illustrative, cette instance photographique renouvelle les conditions du regard et de la pensée en engageant le spectateur du côté du questionnement. L’énigme d’une durée, fragile et inconciliable avec la pensée d’un flux tendu vers une finalité (son état téléologique), s’invente dans l’intrication de ces différences. Le moment photographique offre alors une image claudicante ouverte à la pensée. Son tour de force est bien d’inscrire l’œuvre dans ce fondement contradictoire et vital qui est celui de la modernité. Cette pensée cinématographique élabore une forme qui invente un processus temporel dans le mouvement. Nous l’avons envisagée comme ces moments photographiques. En construisant contre le flux une œuvre qui ne s’impose pas comme une entité fermée et monadologique mais qui s’expose au regard comme œuvrement tremblant de son commencement, le moment photographique constitue une approche de la pensée du cinéma, s’élaborant dans un rapport dialogique entre les arts. Le cinéma de Kubrick, tissant un dialogue celui de Tarkovski et de Marker, explore cette dimension du photographique dans une œuvre s’élabore dans la torsion du donné. C’est ce refus de la conciliation et cette capacité d’envisager l’altérité dans le questionnement qui nous permet d’interroger et de discuter les formes contemporaines que s’en tiennent aux articulations de la signification et se refusent à envisager cette distinction qui, dans l’écart, ouvre à la pensée. C’est là tout l’enjeu vibratoire de ce moment photographique dans le cinéma.




[1C’est le même parcours pour Barry Lyndon.

[2Mitry, Jean, La sémiologie en question, Paris, Cerf, 1987, page 18.

[3Durand, Régis, Le Regard pensif, Paris, Editions de la Différence, 2002, page 34.

[4Ibidem, page 40.

[5Bellour, Raymond, L’Entre-Images 2, Paris, P.O.L, 1999, page 19.

[6Adorno, T. W., Die Kunst und die Künste, conférence d’Adorno prononcée le 23 juillet 1966 in Adorno, T.W., L’art et les arts, traduction Jean Lauxerois, co-traducteur pour ce texte Peter Szendy, Paris, Desclée de Brouwer, 2002, page 46.

[7Lauxerois, Jean, Démon de l’analogie et de la correspondance -à la différence près, in De la différence des arts, Paris, Les Cahiers de l’IRCAM, L’Harmattan, 1997, page 168.

[8Nancy, Jean-Luc, Au fond des images, Paris, Galilée, page 48.

[9« [C]’est une photo véritablement prise en 1921. Nous avions pourtant essayé de trouver des gens dont le physique convienne, nous les avions coiffés à la mode de l’époque, mais le résultat n’était pas satisfaisant : les visages restaient différents. Finalement nous avons trouvé cette photographie et nous avons fait un photomontage très minutieux en harmonisant l’éclairage et le grain de la photo de Jack et ceux de la photo d’origine. Jack a bien l’air de faire partie de ce groupe. En regardant de près, on voit que tous les visages sont plus parfaits les uns que les autres : c’est une espèce d’archétype de cette époque. »
Cette précision de Kubrick implique une fois de plus l’image dans ses enjeux technologiques et poursuit le caractère paradoxalement fantomatique de cette présence du personnage dans l’image.
Kubrick, Stanley, entretien avec Michel Ciment in Ciment, Michel, Kubrick, Paris, Calmann Lévy, 2001 (édition définitive), page 192.

[102001 en formule une réponse dans le voyage final comme nous allons le voir.

[11Chion, Michel, « Caption », L’image et le titre chez Stanley Kubrick, Positif, n°464, octobre 1999, page 96, même si le choix de l’adjectif qualificatif ‘passif’ ne lasse pas de surprendre.

[12Les passages qui ne sont pas entre crochets sont tirés de la fin du film de Kubrick.

[13Daney, Serge, L’exercice a été profitable, Monsieur, Paris, P.O.L, 19XX, page 39.

[14A ce titre d’autres aspects peuvent prolonger cet enjeu et souligner les étapes d’une conscience en marche. Le rôle de l’accélération et du ralenti dans A Clockwork orange souligne cette conscience en marche à partir du motif sexuel. L’accéléré de la partie à trois (Alex et deux jeunes femmes rencontrées chez un disquaire) sur un arrangement électronique de la musique de Beethoven souligne le caractère animal du personnage (forme de l’inconscient) alors que la séquence finale exprime ce moment de conscience (la conscience nouvelle d’Alex après la torture antilibidinale) est soulignée par un ralenti sur ses ébats avec une femme au milieu de spectateurs. La musique (Beethoven dans une version non transformée) renforce ce renversement. Chaque étape forme donc un moment significatif et l’enjeu photographique n’échappe pas à ce travail de Kubrick.

[15Nancy, Op. Cit., page 50.

[16Adorno, Theodor W., Théorie esthétique, traduit de l’allemand par Marc Jimenez, Paris, Klincksieck, 1995, pages 156-158.

[17Ciment, Op. Cit., page 97.

[18Dubois, Philippe, La Jetée de Chris Marker ou le cinématogramme de la conscience, Revue Théorème, Recherches sur Chris Marker, n°6, Presses Sorbonne Nouvelle, 2002, page 12.

[19Ibidem, page 41.

[20Ibidem, page 38. Ces remarques à propos de La Jetée font parfaitement écho à ce temps cinématographique du film de Kubrick.

[21Rappelons que le régime soviétique avait envisagé Solaris de Tarkovski comme la réponse soviétique de 2001. On voit qu’au-delà des considérations idéologiques, les enjeux cinématographiques se répondent et se nourrissent plutôt qu’ils ne se combattent.

[22Celle du XVIIIe siècle et de sa lumière-bougies, celles des hallucinations de The Shining, des fantasmes dans Eyes Wide Shut
Mais il faudrait également poser la question de la musique pour souligner la complexité de l’effrangement des genres dans le cinéma de Kubrick. On pourrait y découvrir que l’espace de l’image est lui-même interrogé par la musique. Bach et Haendel structurent l’image de Barry Lyndon, Beethoven Clockwork orange ou J. Strauss et Ligeti 2001. Il faudrait en effet à ce titre interroger la place de la musique de Ligeti pour ces deux images cinématogrammatiques de 2001.

[23Kubrick, Stanley, Un film doit être une illumination, Entretien avec Joseph Gelmis en 1970, Positif, n°464, pages 15-16.

[24A propos de Solaris : « Parce que c’était l’adaptation d’un livre et que j’avais l’impression d’avoir un autre point de vue sur celui-ci, je pensais que mon film serait très différent du sien [Tarkovski] ».
Soderbergh, Steven, L’easy rider, entretien avec Patrice Blouin, Les cahiers du cinéma, n° 577, mars 2003, p. 26.

[25Lem, Stanislas, Solaris, traduit du polonais par Jean-Michel Jasienko, Paris, Denoël, Folio scien-fiction, 2003, page 38.

[26« Dans l’art de Tarkovski, le problème essentiel de la forme artistique est la foi. L’Absolu est aussi le centre moral absolu, l’idéal moral d’une existence parfaite, divine donc bonne, qui se matérialise dans l’amour. »
Kovàcs, Bàlint Andràs et Szilàgyi, Akos, Les mondes d’Andreï Tarkovski, traduit du hongrois par Véronique Charaire, Lausanne, L’Age d’Homme, 1987, page 22.

[27Ibidem, page 29.

[28On peut également y lire une critique oblique du régime de validation scientifique et de l’idéologie de la science lénio-soviétique de l’époque.

[29Baeque, Antoine de, Andrei Tarkovski, Paris, Cahiers du cinéma, Editions de l’Etoile, 1989, page 72.

[30Kovàcs, Bàlint Andràs et Szilàgyi, Akos, Op. Cit., page 39.

[31Faut-il rappeler la complexité de la fin du film de Tarkovski s’inscrivant pleinement dans sa démarche, dans l’adaptation du film ainsi que dans l’adaptation de Lem. Le retour dans la maison familiale dans laquelle la pluie tombe fait d’abord écho au motif de purification par l’eau ( et l’océan bien sûr) qui parcourt le film : au début du film Kelvin dans sa promenade champêtre se lave les mains dans l’eau, puis à la fin de son séjour dans la station il voit sa mère être lavée. Ce lien aqueux structure les enjeux formels et significatifs du film.
« Le cosmos envahit l’être, l’être dévore le cosmos. (…) La quête, chez Tarkovski, est la recherche de cette fusion, de ce moment où l’espace naturel, où la terre russe se marie avec l’âme. L’ultime image résume ce projet : le fils s’agenouille dans les bras de son père, adorant cette terre qui flotte sur l’océan de Solaris. (…) Du microcosme au cosmos, le chemin suit les conventions de la science-fiction ; du cosmos à l’homme macrocosme, l’itinéraire se fait quête, recherche fiévreuse de soi, perdu puis retrouvé au milieu de l’immensité. »
Baeque, Op. Cit., page 76.
Outre la proximité évidente avec la fin de 2001, on ne peut que constater l’évidement de ces enjeux dans le remake de Soderbergh.

[32Ibidem, page 102.

[33Lyotard, Jean-François, L’acinéma, in Cinéma : théorie, lectures, textes réunis et présentés par Dominique Noguez, Revue d’esthétique, numéro spécial, Paris, Klincksieck, première édition 1973, deuxième édition revue et mise à jour 1978.

[34Bellour, Raymond, L’entre-images 2, Op. Cit., pages 76-77.

[35Marker, Chris, entretien par e-mail, Libération, mercredi 5 mars 2003, page IV.