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Aporie (A propos de Hiroshima mon amour )
mardi 6 octobre 2009, par
A partir de 1945, l’effondrement.
Des mots résonnent : Auschwitz, Hiroshima.
Auschwitz : Chelmno, Belzec, Sobibor, Treblinka, Maïdanek, Auschwitz Birkenau mais aussi Dachau, Sahsenhausen, Buchenwald, Flossenberg, Neuengamme, Struthof ou Mathausen... (c’est dans le système industrialisé et planifié par les nazis qui faut replacer le génocide pour en mesurer la terrible importance historique et philosphique).
Hiroshima : Nagasaki... (c’est dans la reconduction consciente et calculée du geste atomique que l’horreur prend une épaisseur plus insoutenable encore).
Après Nuit et brouillard, la société de production Argos demande à Alain Resnais de réaliser un documentaire sur Hiroshima. Face à ce qui existe déjà, face à son expérience passée, Resnais sait qu’il lui est impossible de faire un documentaire sur Hiroshima. Mais surtout sa conscience esthétique lui impose d’aller ailleurs, de faire autre chose, de ne pas produire une image qui serait au service de... une image qui serait l’illustration d’un propos, ou d’une cause. C’est la matière même du cinématographique que doit se résoudre, ou ne pas se résoudre, cette conscience aiguë de de la catastrophe. C’est dans le film qui résiste à sa commande documentaire qu’il doit trouver son point d’irrésolution.
Plus que tout autre, Resnais sait que le monde ne peut alors qu’être saisi par le fragment et la ruine. Le monde qui s’est bâti sur les brisures de la conscience a perdu ces certitudes. Mais c’est au coeur de cette profonde incertitude qu’il s’agit d’aller. C’est là que Resnais place son cinéma... non pas dans une quelconque ambition didactique - Resnais se méfie du cathéchisme de la mémoire transformé et culte réifié - mais véritablement dans une confrontation dialectique et négative. Resnais se confronte donc à ce qui n’est plus énoncé ou énonçable : Hiroshima - "se connaître à Hi-ro-shi-ma" plutôt que connaître Hiroshima.
Dès lors, l’enjeu est dans le déplacement, dans la transformation. Un pas de côté... une histoire d’amour pour tenter de dire les mots perdus, les images qui feraient retour dans les matins d’après l’amour quand, après avoir avalé un café sur la terrasse de la chambre de son hôtel... quand après avoir vu passer les vélos neufs du Hiroshima moderne... quand en regardant la main de l’amant qui a caressé la nuit durant... d’autres images apparaissent.
L’aporie est alors le mot qui qui désigne un état de conscience, celui d’une modernité inquiète et sévère, celle qui dans l’après de la catastrophe ne dira pas qu’il n’est plus possible d’écrire un poème (comme on voudrait, hâtivement et faussement, réduire la pensée adornienne) mais qu’il n’est plus possible d’écrire un poème dans la méconnaissance, voire l’in-conscience de notre histoire.
Alors oui, la revisite du film de Resnais s’accompagne des relectures de Minima Moralia et de la Dialectique négative d’Adorno : il faudra revenir sur l’aspect déterminant de l’oeuvre de Resnais parfaitement rétive à toute réconciliation et travaillant à partir de sa contraction même.
Relecture également (consubstantiellement) de la pensée de Benjamin et de l’importance de son image dialectique mais aussi (ne jamais l’oublier) des premières phrases de Enfance berlinoise si importantes : « Ne pas trouver son chemin dans une ville, ça ne signifie pas grand-chose. Mais s’égarer dans une ville comme on s’égare dans une forêt demande toute une éducation. »
Et découverte (nécessité d’y revenir aussi) des Poèmes de la bombe atomique de Tôge Sankichi, poésie arrivée en France grâce à Claude Mouchard et grâce aux éditions Laurence Teper.
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