Accueil > Romans, récits > 78, Fayard, 2015 > L’homme et les visiteurs

L’homme et les visiteurs

jeudi 17 septembre 2015, par Sébastien Rongier

Dans l’écriture d’un texte, certains passages s’avèrent trop long, rompant un peu trop le rythme et la logique de l’écriture.
Alors on coupe.
Je ne voulais pas me séparer de ce récit, bien qu’il paraisse radicalement éloigné du récit à proprement parlé.
Pourtant, pourtant... ceux qui auront reconnu le film se souviendront que s’il date de 1977, il est découvert sur les écrans français en 1978 (vous voyez le genre).
Et surtout, au-delà de l’intrusion de l’écriture fictionnelle dans la fiction filmique, tout converge vers cette image finale (du film et de ce texte) qui est au coeur de 78.
On retrouve donc dans 78 une version raccourcie de ce texte.
Voici donc.



1.

Lorsqu’il nait, en 1944, son père est déjà militaire. John a juste le temps de tenir le nouveau-né dans ses bras avant son départ pour le débarquement de Normandie. Il meurt sur une plage française à peine les pieds posés sur le sable. Un sniper allemand protégé par son bunker avait fait un carton ce jour-là avant d’être déchiqueté, quelques heures plus tard, par une grenade américaine. Dans l’immense champ de bataille, le corps de John Neary n’a pas été retrouvé. Roy a grandi avec sa mère, auréolée du titre de veuve de guerre. Sue a pleuré longtemps après le départ des militaires venus lui annoncer, sur le pas de sa porte, la mort de John quelques semaines après le débarquement. Les voisins avaient compris, ils étaient venus la voir alors qu’elle changeait le petit Roy qui n’en finissait pas de brailler. Quand Lili est venue, elle l’a collé dans son parc. Elles ont causé longtemps, Sue oubliant le biberon que son fils réclamait depuis un moment.

Roy n’a jamais quitté l’Indiana. Le monde ne lui fait pas peur mais il a suffisamment à faire dans sa région. Et puis il y a sa mère, elle est restée seule après la mort de son mari. Elle ne s’est jamais remariée. Dans la région, cela n’aurait pas été bien vu. Le chagrin s’est transformé en habitude jusqu’à sa mort, en 1970. C’était une femme sèche qui parlait peu. Elle était grand-mère, Roy avait deux garçons. Elle est morte avant la naissance de la troisième, Sylvia. Elle a connu Brad et Toby. Elle les appelait les braillards et ajoutait invariablement que leur père était pareil à leur âge. Ronnie ne disait rien mais elle n’aimait pas que sa belle-mère soit si sarcastique à l’égard de Roy et de ses fils. Elle ne relevait pas. Elle laissait couler. Elle la connaissait depuis longtemps et imaginait ce qu’elle avait dû traverser en élevant seule son enfant.

Roy et Ronnie s’étaient rencontrés au lycée, dans la classe de science. Ils devaient partager la même paillasse pour les expériences. Très vite, le couple avait fait l’objet de moquerie, Roy et Ronnie. On aurait dit un titre de dessin animé. C’est d’ailleurs ce que Bob avait dit au bal de fin d’année. On a eu Titi et Gros Minet, Mickey et Minnie, maintenant il faut compter avec Roy et Ronnie. Tout le monde avait ri. Roy s’était senti blessé, humilié d’être ainsi la risée, incapable de se défendre et de défendre Ronnie. Bob était la vedette du lycée. Il allait devenir le roi du bal, et sa reine serait Eve. Il était le capitaine de l’équipe de football, il avait la coupe et le déhanchement de Presley. Elle était l’élève modèle à qui on prédisait gloire et beauté. Il deviendrait concessionnaire automobile, elle serait alcoolique et trompée, accusée par Bob de n’être bonne à rien parce qu’ils n’arrivaient pas à avoir d’enfants. Pourtant il la besognait sans relâche ni attention. En 1968, désœuvrée et sans horizon, elle avait volé une voiture de Bob le concessionnaire et était partie voir la Californie. Elle lisait dans les magazines des récits étranges sur ce qui se passait là-bas. Elle n’en pouvait plus de la gueule de Bob qui enflait comme son modèle qui faisait alors son comeback en chanson. Bob n’avait plus eu de nouvelles jusqu’au jour où un avocat était venu pour le divorce. Il avait signé les papiers et avait appris qu’elle vivait à Los Angeles et qu’elle avait eu deux enfants avec un acteur de série télé. Bob s’était précipité pour regarder la série policière. Il avait découvert stupéfié et terrifié que l’autre était noir. Comme son modèle, Bob se tuerait lentement au beurre de cacahuète, aux médicaments et au whisky, une crise cardiaque l’emportant le jour de la sortie du premier film de cinéma dans lequel le mari d’Eve jouerait un premier rôle.
Ronnie n’ira pas à l’enterrement de Bob. Roy non plus. Il a disparu.



2.

Ronnie et Roy ont très vite eu un premier garçon. C’était la fin du lycée, Ronnie était enceinte et il fallait trouver une maison, une situation. Le père de Ronnie avait une quincaillerie. Roy y avait travaillé un moment avant de trouver un boulot dans une entreprise d’électricité. Il s’était formé, il avait appris à poser des câbles, à les vérifier, et il avait finalement été embauché par une boîte spécialisée dans la réparation de câbles électriques. Depuis, il sillonne la région pour réparer, changer les câbles. Sa voiture a une CB qui lui permet de prendre les urgences. La population est clairsemée et les orages sont fréquents. Roy sait que les entreprises locales ont rogné sur les protections du réseau de câblage. Le profit est double. Ils font des marges sur la pause et facturent les réparations. Avec l’arrivée de leur fille Sylvia, la famille a emménagé dans une maison neuve, dans un lotissement récent, bâti au milieu de nulle part. De toute façon, l’Indiana, c’est nulle part. Roy sillonne la région, n’arrive pas à reconnaitre les routes, multiplie les cartes pour essayer de ne pas se perdre. Mais dès qu’il a fait 15 miles, il est perdu. C’est sans doute sa manière à lui d’exprimer sa peur, sa panique du voyage. Il n’a jamais quitté la région, il ne veut pas la quitter. Il attend encore son père.



3.

Je ne veux pas aller au cinéma, je veux faire un mini-golf. Attendez, il y a Pinocchio au cinéma, vous ne connaissez pas Pinocchio ? Ils ne connaissent pas Pinocchio ! Mes enfants ne connaissent pas Pinocchio. Demain je vous emmène au cinéma voir Pinocchio. J’ai adoré ce film quand j’étais gosse.

Roy allait souvent au cinéma avec sa mère. C’est à peu près les seuls souvenirs heureuxqu’il a avec elle. La seule chose qu’ils faisaient ensemble, les seuls moments où il sentait qu’elle était proche de lui. Il avait adoré Pinocchio. Il avait voulu le revoir autant de fois que possible ce dimanche-là. Comprenait-elle qu’il s’agissait d’un enfant qui trouvait et retrouvait son père au terme de longues épreuves. Depuis longtemps, Roy préférait jouer à Pinocchio plutôt que de suivre sa mère à l’église et de chanter avec la congrégation des hymnes qui lui étaient indifférents.

Roy, a crié Ronnie alors qu’il était en train de se disputer avec ses enfants et que Sylvia hurlait parce que Toby avait détruit sa poupée. Roy, c’est ton patron, une urgence. Non, non, non, et non, je suis en congé. Allô... non, mais... oui... ah bon... où ?... OK, mais je te rappelle que c’est mon jour de congé.

A son retour, tard dans la nuit, Roy est dans un état d’excitation que Ronnie ne lui connaissait pas. Il la réveille. Il réveille les enfants, met tout le monde dans la voiture en expliquant que c’est extraordinaire, qu’il faut qu’ils voient ça. Papa, t’as la moitié du visage bronzé ! Mais c’est vrai Roy, qu’est-ce qui t’es arrivé ? Je vous expliquerai dans la voiture.

Il leur raconte qu’il a vu des ovnis. Il retourne dans le virage où les engins sont passés mais Ronnie et les enfants ne voient que des hélicoptères.



4.

Le lendemain, Roy est renvoyé. On ne peut pas compter sur un employé qui voit des ovnis. L’Indiana, ce n’est pas le Nevada. Personne ne le croit. Ronnie le trouve ridicule et les enfants se moquent de lui. Eh Papa, c’est pas Star Trek ici. Il essaie mais n’arrive pas à se défaire de ces images, de ces lumières, le flottement. On n’est pas seul. Toutes les nuits désormais, il regardait le ciel, les étoiles, le firmament, cherchant le moment de leur apparition. Il ne dort plus. Il fait peur aux enfants. Ronnie ne le supporte plus. Elle veut une vie conforme. Pour elle, être mariée à un type qui s’appelle Roy, c’est comme un miroir, un équilibre. Une maison, un mari, la télé et les trois gosses, la voiture et le travail, c’est la vie que veut Ronnie. Il n’y a pas de place pour les extraterrestres. Roy ne dort plus. Il n’arrive plus à se lever non plus. Il est dans la maison traînant un boulet imaginaire derrière lui. Il ne parle plus, ne se rase plus. Il fait peur aux gosses qui ne le reconnaissent plus. Il ne sait pas dire ce qui le tient éveillé, ce qui l’empêche. Il est comme arrêté. Il a accumulé des articles, des gadgets, des récits d’extraterrestres plus farfelus les uns que les autres. Il sait qu’il y a du grand n’importe quoi dans ces récits. Mais il les a vus. Il sait lui ce qu’il a vu. Son visage à demi bronzé, il ne l’a pas rêvé, il ne l’a pas inventé. Il n’arrive pas à penser à autre chose. Il ne ressasse pas, il y a une image qui s’impose. Elle est devant lui comme un appel, un message, un cri mais il n’arrive pas à savoir, à comprendre, à dire. Ronnie l’a retrouvé endormi dans la baignoire, l’eau coulant sur lui. Il est hagard et a oublié de retirer ses vêtements. Il y pense. Un matin, elle est partie avec les enfants, laissant Roy à son obsession. Il ne sait pas ce que c’est, comment la dire ou la figurer : un monticule, une montagne décapitée. Il sait que c’est là qu’il doit aller. Mais où ?



5.

La montagne existe. Elle n’est pas magique. Elle est dans le Wyoming. Roy décide de prendre sa voiture après l’avoir vu aux infos. Une énorme explosion de produits chimiques a transformé la région en zone interdite. Il doit y aller. Il doit aller à contre-courant, inverser le cours de la circulation automobile et le cours de sa vie. Il est obsédé par cette image, aimanté par un désir qu’il ne comprend pas mais qui le prend tout entier. L’idée fixe, c’est la montagne. Comme un démon intérieur qui le pousse. Il ne pense à rien d’autre, ni à sa femme, ni à ses enfants, ni aux câbles électriques qu’il ne répare plus. Il pense à cette montagne décapitée. Il va toute faire : forcer les barrages, forcer les clôtures, avancer malgré les risques, la contamination chimique, et sans doute la mort. Car il y a des cadavres de vaches et de moutons sur les bas côtés. Des bêtes sans vies, asphyxiées par un gaz invisible et dangereux. Il a acheté un masque à gaz dans la dernière ville habitée. Là même où les militaires refoulent les curieux et évacuent les populations terrifiées. Les derniers trains sont pris d’assaut par ces foules à qui on affirme que la mort rôde. Roy a décidé d’aller au devant du danger. Malgré tout. Il lui est impossible de faire autrement, d’envisager autre chose. Il a taillé la route, défoncé des haies de bois, des barrières de barbelés. La voiture familiale a résisté. Il roule à toute allure. Jusqu’à un barrage militaire.
Ils l’arrêtent.



6.

Lacombe : Bonjour

Roy : Où est la jeune femme ?

Lacombe : Est-ce que vous vous rendez compte du danger que vous courez ? En venant ici vous vous exposez aux gaz toxiques.

Roy : Je suis vivant.

Lacombe : Vous avez beaucoup de chance. Et si les vents dominants avaient soufflé du Sud… Vous ne saviez pas que l’air était pollué ?

Roy : L’air n’est pas pollué.

Lacombe : Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

Roy : J’en suis sûr. L’air n’est pas pollué.

Lacombe : Si vous ne me croyez pas, eh bien, allez voir dehors.

Roy : Non, ça suffit ! Dites au responsable que je veux le voir.

Lacombe : C’est moi le responsable. Monsieur Neary, êtes-vous un artiste, un peintre ? Une genre d’écrivain, un journaliste ?

Roy : Ni l’un ni l’autre.

Lacombe : Est-ce qu’il vous arrive d’entendre des sons curieux dans votre oreille ? Des sons persistants ? Presque agréables, mélodiques…

Roy : Non.

Lacombe : Avez-vous des maux de tête ? Des migraines ? Des saignements de nez ? Des irritations des yeux et des sinus ? Ce qu’on cherche, ce sont des réactions physiques.

Roy : J’en ai.

Lacombe : Des démangeaisons ? Des allergies ? Des étourdissements ? Vous avez des vertiges, des nausées ? Des brûlures sur le visage et sur le corps ? Ou d’autres symptômes ?

Roy : Oui… mais vous êtes qui d’abord ?

Lacombe : Regardez ceci (il montre un dessin).

Roy : Oui, j’en ai un comme ça dans mon living. Mais j’aimerais d’abord bien qu’on me réponde.

Lacombe : Je vais vous posez une question si vous le permettez, une question qui va vous sembler incongrue : avez-vous fait ces derniers temps une rencontre ? Une rencontre plutôt inhabituelle ? Un contact avec un phénomène terrestre ou aérien ?

Roy : Vous êtes de la police.

Lacombe : Qu’espériez-vous trouver ? Vous êtes parti comme ça, à l’aventure.

Roy : Je cherche à savoir. Si je suis fou, alors dites-le.

Lacombe : (pensant) Ces gens-là ont été choisi au hasard. C’était eux, ça aurait pu être d’autres. Ils n’ont rien de spécial. Ils sont simplement tombés au bon endroit, au bon moment…

Roy : Cela fait dix minutes que j’essaie d’en placer une. Je demande à parler au responsable. Je veux faire une réclamation. Vous n’avez pas le droit de manipuler les gens. Vous croyez que je vais aller vérifier toutes les salades que racontent les présentateurs télé. Et s’il y a tout ce gaz toxique, comment et pourquoi je suis venu jusqu’ici ? Je connais ce patelin, moi. Alors dites-moi quel est ce mystère ? Mais qu’est-ce qu’on est en train de foutre ? Mais qui êtes-vous à la fin ? Merde !




7.

L’hélicoptère vient de décoller. Sans lui. Il a échappé à la surveillance des militaires. Il s’est caché derrière des fûts métalliques. Il a couru, traversé les installations scientifiques qu’on déballe et se rend sur les flancs caillouteux de la montagne. Il grimpe, échappant à la vigilance des hélicoptères de l’armée qui cherchent à le repérer. Il a tenu, s’est caché, est allé au-delà de ses forces pour rejoindre sur l’autre flanc de la montagne. Pour y trouver quel secret, quelle réponse. Il veut une réponse. Savoir s’il est fou, si les ovnis qu’il a vus, les phénomènes qu’il a croisés, sont réels ou simplement le fruit de son imagination malade. Il veut savoir pourquoi il a perdu sa femme et ses enfants. Il y a bien eu ces lumières, l’aveuglement, et la moitié de son visage bronzé. Ce qu’il a vu est vrai, ce n’est pas possible autrement. Ils sont des dizaines à avoir vu les vaisseaux flotter dans l’air, suivre un instant la route sinueuse et bientôt fuir au fond du ciel. Il a vu ça. Et personne ne veut le croire. Ni son patron. Ni sa femme. Ni ses enfants. Ni les autorités militaires ou civiles. La montagne est une réponse. Son obsession est cette certitude. Il s’accroche à cela dans la pente rocheuse qui le blesse lorsqu’il glisse. Il s’accroche à ça parce qu’il n’a plus rien d’autre. Parce qu’il sait que sans cela, il deviendra fou. Terré dans une cavité alors que la nuit tombe, il a attendu le passage de l’hélicoptère pour traverser la crête et voir l’autre côté de la montagne.



8.

Cela ressemble à une piste d’atterrissage. Mais aucun avion n’aurait pu atterrir. Peut-être des hélicoptères. Il y a trop de monde sur la piste, trop de matériel autour. C’est une piste d’atterrissage mais on n’attend pas d’avion. Pas d’hélicoptère. Il le sait. Il sait ce qu’on attend. Il en a la certitude avant même de gravir la montagne. Tout ce cirque, ces militaires, ces précautions et ces accidents, il sait qu’il s’agit d’une mise en scène. Il n’est pas là par hasard. Il n’a pas traversé tous ces états sans raison. Il a quitté l’Indiana. Il n’y reviendra plus. Personne ne le comprend plus désormais. Tous l’ont rejeté, tous l’ont pris pour un fou. Il va au devant de l’inconnu. Il va prendre la mesure des certitudes secrètes qu’il a forgées. Contre tout ce qu’il sait, malgré tout ce qu’il a construit. Sa femme, ses enfants, son travail. Cela a disparu avec la montagne. Cela reviendra, peut-être autrement. Un jour. Un espoir silencieux qu’il faut différer. Il veut des réponses.

Sol, La, Fa, Fa, Do

Ils font des essais, s’affairent autour de leur matériel de mesure et les enregistreurs de sons, d’images, les outils pour analyser les fréquences, les volumes de chaleur, les instruments pour analyser les radiations ou les gaz nocifs.

Sol, La, Fa, Fa, Do

Il connait cette musique. Elle est pour lui associée à l’image de la montagne. Il ne sait pas d’où elle vient, ni pourquoi il y pense mais il la reconnait. Elle lui est familière. Il reconnaît également le français qui l’a interrogé sur la base militaire. Il semble commander tout ce bazar.
Et puis, ça commence.
Un amoncellement de nuage formant une courbe, des étoiles qui se détachent du ciel. Et bientôt un ballet de lumières.
On dirait... Roy ne sait pas car cela ne ressemble à rien de connu ou d’imaginable. Un ballet de lumières. Les engins se déplacent dans le ciel sans faire de bruit. Ils glissent délicatement d’une place à l’autre et bientôt se stabilisent au-dessus de la piste d’atterrissage aménagée par l’armée et les scientifiques.


Sol... La... Fa... Fa... Do

La musique leur est destinée. C’est comme un langage, une façon de parler. De leur parler. Il comprend. Ils sont là pour entrer en contact. Pour parler. Sol, La, Fa, Fa, Do

Ils ont couplé au synthétiseur des lumières colorées. Des équivalents, des correspondances visuelles. Mais les engins ne répondent pas. Ils restent stationnés au dessus du sol un moment. Et soudain, ils disparaissent en filant dans le ciel, derrière les nuages. Et puis, plus rien. Tout le monde applaudit, semble heureux. L’expérience a réussi, est une parfaite victoire sur l’inconnu. Ils ont accumulé des dizaines de milliers de données. Des années de travail pour analyser et comprendre ce qui s’est produit. C’est beau. Ils viennent de prouver l’existence de vies d’extraterrestre.
C’est fini.
Quand soudain, le ciel semble descendre sur le flanc de la montagne, descendre vers eux. Les premiers engins n’étaient que des explorateurs, une avant-garde fantasque qui récolte des informations, jaugent le niveau de dangerosité. Conclusion : personne n’est hostile.
Le vaisseau principal se dévoile : Sol, La, Fa, Fa, Do et encore Sol, La, Fa, Fa, Do. Puis une farandole de sons et de lumières venant de l’imposant vaisseau qui barre maintenant tout l’horizon. Tous sont fascinés, absolument et entièrement tournés vers ce qui s’offre à eux. Inimaginable. Personne n’a remarqué que Roy soit maintenant parmi eux. Il s’est décidé à descendre. Il veut être au plus près lui aussi. Pour comprendre et recoller les morceau de son puzzle intérieur.
La lumière est puissante, mais pas agressive. Ils ne sont pas belliqueux. S’ils l’avaient été, ils auraient pu balayer l’installation bien avant. Personne ne se sent en danger. Tous éprouvent un mélange d’inquiétude et d’excitation, d’incrédulité et d’espoir.
Soudain, un sas s’ouvre. Ils viennent. Ils vont les voir. Au lieu de cela, un groupe d’homme apparaît dans la lumière. Des silhouettes troubles et bientôt de jeunes hommes, hébétés, des pilotes de la seconde guerre mondiale, disparus en vol, 40 ans plus tôt. On vient de retrouver les avions vides dans le désert. Les hommes sont rendus. Ils n’ont pas vieilli. Roy pense à son père.

Puis d’autres personnes dont le fils de Jillian Guiler qui a bien joué avec ses nouveaux amis, sortent de l’appareil. Et puis il est sorti, filiforme et imposant, accueillant et pacifique. Il est là, face à eux, caché derrière la montagne. Bientôt d’autres, plus petits, comme des enfants turbulents, une ruche d’abeilles butinant autour des humains qu’on a choisis pour aller dans la machine, partir pour un voyage vers l’inconnu. Tous sont des militaires, mâchoires carrées et lunettes de soleil vissées sur le nez. Ils connaissent tout de l’aéronautique et des planètes. Rien ne semble les étonner. Ils sont entraînés. Au milieu de ces hommes et femmes en rouge, Roy a été imposé par Lacombe. Le chercheur a été impressionné par sa volonté. Il a traversé toutes les épreuves, dépassé les interdits, surmonté les difficultés les plus éprouvantes. Il est là, au milieu d’une zone désertée. Il n’était personne. Lacombe pense que c’est justement ce que cherchent les visiteurs. Lacombe a raison. Avant de repartir et de s’évanouir dans la nuit, les visiteurs ont choisi Roy. Tous l’ont vu partir à l’intérieur du vaisseau. Il a été choisi. Beaucoup l’envient, à commencer par Lacombe. Roy, en montant, se demande secrètement si son père n’aurait pas pu être parmi les navigateurs de l’espace. Il en rêve en silence, même s’il sait qu’il ne s’agit que d’un fantasme. Mais il monte dans un vaisseau extraterrestre. Tout devient possible. Sur le tarmac du Wyoming, tous remontent avec Roy. La dernière chose qu’on a vue de lui, la dernière image, c’est son dos. Son dos disparaissant dans la lumière.