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François Bon, les Sex Pistols, Dieu (et moi)

dimanche 12 juin 2011, par Sébastien Rongier

C’est un dialogue ininterrompu avec le Punk, celui des années 70 et 80. Et il y a toujours une place dans l’appareil où s’entassent les morceaux et les albums pour les Sex Pistols et les Clash.

Alors quand on découvre le Commentaire sur les Sex Pistols de François Bon sur publie.net, c’est forcément une part de soi-même qui revient, sans n’être d’ailleurs jamais parti.

Le texte de François Bon s’inscrit dans le travail lié aux aventures du rock qu’il écrit autant comme des biographies de groupes ou d’artistes (Rolling Stones, Led Zeppelin, Dylan) que comme des autobiographies générationnelles. Les sous-couches de ces textes de François Bon mettent au jour des strates mémorielles qui débordent largement la seule question rock, ou plus exactement débordement du rock envisagé par l’anecdote. L’écriture de François Bon emporte ailleurs et soulève d’autres pistes. Un des enjeux éclairé par ses livres, c’est le rôle de la massification. Ce qu’il montre, ce sont les mécanismes de la massification en jeu dans ces histoires musicales et industrielle – industrie culturelle au sens adornien du terme… François Bon a été lecteur de la Théorie esthétique.

Ses Commentaires sur les Sex Pistols rappellent la massification de la drogue au milieu des années 1970, et son rôle dans le mouvement Punk, sans pour autant en faire un facteur unique d’explication. C’est pour lui l’occasion de prolonger les lignes dessinées dans les précédents livres, l’occasion d’établir une archéologie du rock pour comprendre l’événement punk, et surtout concevoir le moment punk comme un événement (et pas seulement au sens du coup tel que l’étroit producteur Malcolm McLaren l’envisageait). Cette archéologie demande donc à envisager les strates suivantes : la drogue, la place du producteur, l’enjeu des signes (vêtements, cheveux, accessoires) parce que le rock est une véritable sémiologie et le punk est un empire des signes (aujourd’hui captés, retournés et digérés).

« Ainsi la drogue, alors devenus non plus apanage artiste, mais pratique de masse, corps à même les trottoirs, la seringue comme vocabulaire. La société anglaise avait mis longtemps à réagir : même si la consommation de pilules puis l’inhalation de cocaïne et enfin d’héroïne avait déjà commencé de longtemps pour Brian Jones et Keith Richards, le premier procès dont écoperaient les Rolling Stones, ce serait pour cette idiote histoire d’avoir pissé de nuit le long d’un mur de station-service, dans laquelle on avait refusé à Bill Wyman l’usage des toilettes. Et deux ans plus tard, en février 1967, lorsque la police perquisitionnerait la maison de Keith Richards à Redlands, on lui confisquera pour analyse ces petits sachets de moutarde qu’on servait dans les avions et qu’il gardait en souvenir. Mais après la prison et dans l’accumulation des procès, Richards affirmerait par son physique même, et les Stones par les allusions lourdes de titres comme Brown Sugar ou Sister Morphine, que ce qu’on leur reprochait ils l’assumaient comme un défi, labourant déjà l’histoire pour les Sex Pistols. » (p. 3-4)



Et toujours chez François Bon cette importance des instruments et des précisions techniques, petite obsession de l’auteur qui est aussi nécessité pour saisir les formes et les forces qui s’agitent sur les microsillons.

« Pour Lydon, là où les Robert Plant ou Mick Jagger enregistrent en play-back avec un micro dynamique (à condensateur), on lui laisse le Shure B 58 indestructible et limité, et qui ne garde que sa déclamation éraillée. Sur la console trente-deux pistes on mêle aux instruments toutes ces ambiances, ce bruit même, qui résonne de façon parasite. » (p. 27)



Autant de façons de se raconter, de se raconter l’oblique du monde, celui de la musique et de la technologie :

« Ainsi surgit une figure neuve de la musique, qu’ils n’ont pas fait émerger eux seuls, mais où ils laissent un monument à égalité d’empreinte avec le premier Led Zeppelin et quelques autres. Après eux, viennent les Clash, les Cure ou Gun Club, qui influencera tant Noir Désir. Et quand dans les années 1980 je publie des livres aux éditions de Minuit c’est Clash et Cure souvent que j’ai dans les écouteurs du casque, pour passer au-dessus le bruit régulier du clavier des machines à écrire électriques d’avant l’irruption du traitement de texte. » (p. 28)





Excursus

Les Sex Pistols, c’est pour moi un souvenir d’enfance. On a les madeleines qu’on peut (un champ où meurt un écrivain, une brasserie, un bar). Ayant grandi dans un café où se mêlaient les piliers, les habitués, les joueurs, les drogués de toutes sortes, les clients de passages, j’ai aussi connu les punks locaux. Ils avaient trouvé refuge dans ce bar où je vivais 24 heures sur 24. Pas méchants, plutôt sages malgré leur allure et leur tenues, celles radicales de l’époque (rien à voir avec les crêtouilles à la mode), ils m’aimaient bien, ne me prenaient pas de haut et avaient l’habitude de s’entasser dans un coin autour d’une table, à partager un café pour dix les milieux d’après-midi passés loin des salles de classes. Et les jours de fêtes de commander une pression et des pailles.

Les populations se croisaient sans véritablement se mélanger. Elles cohabitaient assez tranquillement. Ce qui liait tout ce monde, c’était le juke box et la possibilité qu’avait le patron paternel d’y mettre les disques de son choix. La play list était aussi curieuse que les têtes qui se succédaient au fil de la journée et de la soirée. On pouvait y entendre aussi bien la soupe commerciale du moment (l’obligation de service... et la période 1975-1985 a été fertile en « tubes » insipides), les goûts musicaux paternel et les quarante cinq tours punks : les gamins d’alors avaient demandé s’ils pouvaient écouter tel ou tel dans le juke box. Il était donc fréquent que je rentre de l’école et entende Holidays In The Sun, Anarchy In The U.K et bien sûr God Save The Queen. Bien sûr aussi les désormais classiques des Clash… mais pas à l’époque. Et aussi le seul chanteur estampillé « punk » par cette petite cohorte : le J’aime regarder les filles de Patrick Coutin au début des années 80.

Bref, pas encore entré au collège et déjà imprégné (et déjà la collection personnelle des trente trois tours ou cassettes enregistrées des Sex Pistols, des Clash, des Exploited, des Dead Kennedy’s, des PIL…)

Est-ce ce qui a participé de ma rupture avec Dieu ? Sans doute une participation au mouvement. Mais le café étant planté à côté d’une cathédrale, j’ai longtemps fréquenté l’endroit, et l’Eglise catholique romaine, au point de devenir, quelques temps, un véritable enfant de chœur… jusqu’à la Confirmation. Moment solennel qui fut, pour moi, celui de la rupture. Sous mon aube immaculée, j’avais choisi mon plus significatif tee-shirt, celui où, à côté du visage de Sid Vicious, était écrit « Punk’s not Dead ».


Mitterand allait être élu président, j’allais bientôt entrer au collège, Dieu était mort, et François Bon allait publier l’année suivante Sortie d’usine. Mais ça je l’apprendrai plus tard.






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