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Le murmure des morts (cimetière 3) (W.B. 13)

mercredi 12 décembre 2012, par Sébastien Rongier






Le murmure des morts

Les morts parlent entre eux. C’est même leur principale occupation. Ils parlent essentiellement des vivants, parfois par nostalgie, souvent par moquerie. Les morts parlent rarement aux vivants. Car ils se sont souvent tout dit, ou alors pas assez. Mais ils savent, les morts, que leur condition est un trop tard. Alors parfois, ils se moquent des bouquets que les vivants apportent. D’autres fois, ils se contentent d’accueillir, taiseux, les parfums à venir. Parfois, ils ne goûtent qu’à l’absente de tout bouquet.

Mais les morts savent les mots, comme ils savent les morts des vivants. Toujours. Quand un vivant traverse un cimetière, il apporte avec lui ses morts. Ils savent les morts, ils savent les blessures, les silences.

Ce sont bien sûr les vivants qui trimballent leurs morts, la pensée des morts dans les cimetières inconnus. Les morts ne parlent pas. Il sont seulement morts (ce qui est toujours beaucoup). Ce ne sont jamais que les vivants qui (co-)habitent avec leurs morts. C’est là qu’est le murmure des morts, les linéaments des souvenirs dans le tourbillon des pensées.

Au milieu du cimetière de Portbou, je pense à la mort de ma mère.
Je fréquente assez peu les cimetières… même comme matière littéraire. Mes promenades funéraires sont intérieures. On d’écriture comme avec Ce matin.

Lorsque j’allais au cinéma, à l’adolescence, dans cette ville de province dont Mallarmé disait cette ville (...) si triste, que tout ce qui s’y passe est gris, je passais devant le cimetière de la ville, un cimetière au bord du centre, à l’intérieur et au bord. Je voyais les grilles fermées, je longeais le mur d’enceinte derrière lequel se cachent les tombes et les urnes. Il y a avait déjà le nom familial dans ce cimetière, sur une tombe le nom d’un grand-père trop peu connu pour m’en souvenir. Les photographies, seules, faisaient traces, authentifiaient la rencontre des corps. Je n’avais jamais poussé la grille pour découvrir le nom, la tombe, je n’avais jamais accompagné ma grand-mère sur la pierre qui refermait le cercueil. J’ai longé le mur dans les deux sens, séparé des morts par le mur d’enceinte rassurant, préférant la fréquentation des fantômes cinématographiques à l’ordre des cimetières. C’est aujourd’hui contre ce même mur que repose l’urne funéraire dans laquelle sont conservées les cendres de ma mère.

Quand je suis à Portbou, seul dans le cimetière, à regarder la mer s’étaler à l’horizon, je pense aux funérailles de ma mer. Pas de jeu homophonique mais une image : les morts parlent des morts. Je me souviens être parti, après les obsèques, et la pompe chrétienne, parti seul sur le remblai des Sables-d’Olonne. C’est là qu’elle est morte dans un accident de voiture. Après l’église, ce samedi après-midi de juin superbe, le soleil était impeccable. Je m’étais installé à la terrasse d’une brasserie. Et devant plusieurs verres de cognac, j’avais fait un peu de place au silence. Avant d’y retourner.

C’était le même ciel. A Portbou, c’est la même qualité du ciel. La lumière du bleu, et l’étendue stable de l’océan. On vient toujours avec ses morts.
Il y a cependant toujours des signes, des prémices géomatiques qui anticipent la mémoire. Le paysage donne à lire ce qui ailleurs s’entendra sous le regard.

Etait-ce une image dialectique lorsque le matin, juste avant Portbou, s’arrêtant près de Banyuls, nous étions allés sur la plage des Paulilles, traversant le site d’une ancienne usine de dynamite reconvertie pour les touristes ? Il y avait, comme la trace d’un passé révolu, cette cheminée que j’ai prise à contre-jour.






Le contre-jour de la mémoire m’a renvoyé à Nantes, le lendemain des obsèques, après la ridicule cérémonie du crématorium. Il fallait attendre, se promener dans les jardins dégagés et propres du lieu. Au hasard de l’attente, j’avais observé la haute cheminée qui se dessinait entre les arbres. Je la regardais fumer sans comprendre, sans réaliser, sans prendre conscience. Véritablement.

Les cheminées catalanes sont arrêtées depuis longtemps. Mais la mémoire continue de souffler avant les cimetières.

Je ne fréquente pas les cimetières, je fréquente les morts.









L’ensemble des Variations W.B.





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