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chapitre 7 : 1942 (Vendredi 13 août, gare de Lyon)

dimanche 5 juin 2022, par Sébastien Rongier



1942 (Vendredi 13 août, gare de Lyon)



Le jeudi 13 août 1942, le ciel parisien est toujours aussi ensoleillé. Germaine Tillion a repris son Terrot pour rejoindre Thomasson à la terrasse du café « Les Voutes », place de la Bastille. L’armée allemande patrouille comme à son habitude quand Germaine arrive sur la place. Elle se souvient de son premier trajet lors de son retour à Paris au début de la guerre… le vide et le silence, cette sensation étrange qui pousse à se demander s’il s’agit bien de Paris que l’on traverse dans cette écrasante immobilité. Le passage des chars allemands, l’omniprésence des drapeaux ne rendaient pas moins improbable l’existence de la ville et l’étrangeté de la traversée en vélo. En voyant Thomasson attablé, Germaine se demande si elle doit évoquer ses inquiétudes. La veille, en sortant de sa maison pour accueillir l’abbé, elle était allée voir sa voisine pour lui emprunter un peu de beurre. Elle en trouve au marché noir dans une ferme de ses amis. En revenant, elle avait cru voir une voiture démarrer. Elle s’était demandée si la Gestapo ne l’avait pas suivi. C’est la raison pour laquelle elle voulait accompagner Alesch jusqu’à son train pour vérifier que tout était en ordre. Ils ont vu arriver l’abbé de loin avec son uniforme ecclésial.

Thomasson règle. Ils se lèvent pour rejoindre Alesch, Germaine gardant son vélo à la main pour aller gare de Lyon. Robert Alesch marche d’un pas alerte sur le trottoir de la rue de Lyon. Il tient à la main une petite valise et sur son épaule pend sa besace. Germaine qui se tient à côté de lui avec son Terrot ne parle pas. Elle est concentrée et regarde autour d’elle. Tout est normal, aussi normal que peut l’être une ville occupée par l’armée nazie. Devant la gare, il faut traverser la circulation dense entre les calèches, les voitures portant sur leur toit des bombonnes de gaz et les vélos circulant dans toutes les directions. La façade de la gare se déplie désormais, mais elle est aussi parasitée par les drapeaux nazis. Ils arrivent bientôt près de la tour de l’horloge. Alesch est en avance. Tout va bien. Pourtant Germaine est inquiète. Une crainte subjective. Elle ordonne à Thomasson de rester à l’écart en lui demandant d’aller accrocher son vélo pendant qu’elle accompagne Alesch sur le quai. Germaine entre dans la gare avec l’abbé. Ils passent le premier contrôle sans difficulté. Alesch a son billet et son laisser-passer. Elle demande discrètement au prêtre s’il a bien la boîte d’allumette avec lui. Il lui sourit comme à l’accoutumée. Pour la rassurer, il glisser la main sur son torse et sort de sa poche intérieure la boîte d’allumette.

« Vous voyez ! Tout va bien. Je n’ai rien oublié. J’ai la boîte, l’adresse et les contacts. Tout va très bien se passer.
— Je n’en doute pas. Mais c’est votre première mission…
— Ma première mission avec vous, oui, mais j’ai quelques antécédents.
— Les distributions discrètes de photographies avec des jeunes ouailles, cela ne compte pas.
— Je ne vous ai peut-être pas tout dit. Mais aucune inquiétude. J’ai mes papiers, mon billet et les informations pour cette visite lyonnaise.
— On se retrouve la semaine prochaine. Je tiendrai au courant Legrand.
— Mon père, vous devriez changer de tenue avant d’arriver à Lyon.
— Pourquoi cela ?
— Pour ne pas éveiller les soupçons, ou l’attention en cas de difficulté.
— Merci. C’est un excellent conseil. A bientôt. »

Sans se retourner Robert Alesch passe le portillon de son quai de gare. Germaine Tillion regarde la longue silhouette noire s’avancer sur le quai. Elle se retourne et cherche du regard Thomasson qu’elle ne voit pas. Elle se dirige vers la sortie centrale pour rejoindre son acolyte et son vélo quand elle sent une main prendre son coude. Deux hommes l’entourent et la pressent.

« Police allemande, veuillez nous suivre s’il-vous-plaît ?
Germaine Tillion est arrêtée le 13 août 1942.
Gilbert Thomassin aussi.
Le 14 août, Jacques Legrand est également arrêté.
Pierre-Maurice Dessinges, de retour de province est arrêté le jour même de son arrivée.
Les autres suivront.
Robert Alesch a pris son train sans encombre. Il a suivi le conseil de Germaine Tillion et s’est changé avant d’arriver à Lyon. Pour ne pas éveiller les soupçons.